Écrire/goûter/parler

Publié le  28.04.2014

« La parole comme vaccin contre la mort. La parole comme rempart contre l'ennui.
Parlez, parlez, parlez encore. Parlez pour affronter la nuit. » Fauve - Cock Music / Smart Music

 

Écrire. Écrire la langue parlée. La parole, le son, le goût, nous voilà déjà dans la bouche.
Écrire le théâtre. "Le" vive voix, le son, encore lui, qui sera porté par la voix, la respiration, le corps. Point d'ancrage en la chair.
Prendre la parole. Faire entendre quelque chose à quelqu'un. Communiquer. S'adresser à un interlocuteur, même flou. Ne pas être seul, savoir que les mots auront en face une caisse de résonance. Ici sont les accords de base entre l'écriture et moi, garants de la nécessité et du plaisir d'écrire.

 

Le plaisir d'une écriture qui se mettra en bouche. Il y a là quelque chose de primitif. Nous ne sommes pas loin du stade oral. À fantasmer des parlés, des langues, à trifouiller le langage pour qu'il dise ce qui lui échappe, à voir les effets que ça produit autour.
L'oralité est le premier stade du développement psychoaffectif de l'enfant caractérisé par le fait que le nourrisson trouve son plaisir dans l'alimentation, l'activité de la bouche et des lèvres. C'est aussi le premier stade d'évolution de la libido qui réalise la satisfaction des pulsions et concerne la zone corporelle orale: alimentation, succion, baiser, incorporation buccale, morsure, parole.

 

Écrire c'est tout ça : nourriture, succion, baiser, incorporation buccale, morsure, parole.

 

Il y a aussi dans l'écriture un processus de métabolisation du monde, qui passe par le corps. Il s'agit de s'approprier symboliquement le réel et de le restituer dans une forme tenue par des personnages, une histoire, des situations. Inventer du sens. Écrire, est-ce inventer du sens à ce qui n'en a pas ou est-ce trouver le sens de ce qui est ? L'un présuppose qu'il n'y a pas de sens mais qu'on a besoin d'en donner un, l'autre présuppose qu'il y a quelque chose de préexistant à découvrir. Énigme.
Une séance d'écriture est éprouvante pour le corps, comme une activité sportive. Sans avoir trop bougé pourtant le corps a été tenu, concentré, animé, essoufflé. Il a vécu.

 

Prendre la parole est, en même temps, ce qui me pousse à écrire - presque me force - comme un moteur du vivant et ce qui me transporte dans l'existence, saut à l'élastique.
Sans ce besoin de chercher à dire le monde j'aurais déjà tout arrêté depuis longtemps avec l'écriture.

 

Car, laborieux le rapport de soi à soi face à la page, laborieuses les heures de travail à chercher/jeter/tailler, laborieuses les lessives à faire qui prennent la place de l'angoisse de la page toujours blanche, tu rêves de recettes toutes faites et en même temps tu les repousses parce que tu sais que ça annulerait l'aventure, l'artisanat, la création. Laborieux le retour à la vie de famille après s'être plongé un temps, deux temps, trois temps dans une valse enivrante avec le texte. Laborieux les contacts, les amours et les élans pour les metteurs en scène, le chemin du texte à la scène, la prise de pouvoir du metteur en scène, des acteurs, l'amour pour ses personnages qui s'en vont vivre sans vous. Laborieux de trouver des lecteurs, des guides dans tes nuits, de mettre des mots aussi sur ce que tu es tout juste en train d'écrire, sur ce qui t'empêche de dormir, sur ce que tu projettes d'écrire, de faire des « pitchs » pour appeler les subsides. Et laborieux enfin ce cul toujours entre deux chaises, celle de l'auteur et l'autre d'on ne sait qui. Je pourrais presque dire celle d'on ne sait qui et celle de l'autre, on ne sait non plus qui.

 

- Parce que se déclarer auteur il faut l'assumer, la barre est haute, on ne sait pas très bien qui définit les règles du jeu et l'on n'ose pas les définir soi-même - 

 

Mais, tout ce laborieux dit, une petite lumière s'en relève toujours, telle une petite luciole dans la mort, le plaisir reste, tu tiens tes mots entre les mains, tu as trouvé un chemin, tu vis encore et plus par la force de ce que tu as produit/pondu/régurgité.

 

Tu viens de transposer le visible et l'invisible en un monde de significations.

 

Alors tu recommences. Écrire.

 

L'écriture est un lien au monde, comme une bouée de sauvetage jetée quand l'Homme est à la mer. Et tu ne sais jamais si tu es l'Homme, la bouée ou la mer.

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