Et Hop ! Et Paf ! Et Oh !
Au cœur de la programmation de ce 64è festival d'Avignon, « Chouf Ouchouf » de Zimmermann et de Perrot constitue une sorte de réponse au « Gardenia » de Platel et Van Laecke. Dans chacune de ces deux pièces, un groupe pré-existant a rencontré un couple de metteurs en scène, qui ont utilisé la réalité de ce groupe pour écrire leur spectacle. S'il m'a semblé que les transsexuels flamands de « Gardenia » ne bousculaient que trop rarement l'image qu'ils véhiculent d'ordinaire, jouant avant tout avec nos pulsions voyeuristes (cf. ci-dessous), les acrobates de Tanger qui portent « Chouf Ouchouf » sont totalement transcendés par la très belle écriture scénique de Martin Zimmerman et Dimitri de Perrot. Les deux spectacles obéissent à un même type de construction ; ils s'articulent autour d'une scène d'ouverture radicale et collective, image matricielle que le spectacle se déployant re-convoquera sans cesse.
« Chouf Ouchouf » démarre donc par un numéro acrobatique, tel que ces dix garçons et deux filles sont habitués à en proposer aux clients des hôtels de Tanger : pyramides humaines, sauts et cabrioles en tout genre. Mais le mur du fond constituant l'unique élément scénographique se rapproche dangereusement, les fige tout à coup dans une posture troublante. Puis le mur se disloque et cinq tours à base carrée en émergent. Durant l'heure qui suit, chacun jouera à cache-cache avec ces tours mouvantes, se dissimulant à l'intérieur, bondissant en leur sommet, apparaissant derrière l'une, disparaissant derrière l'autre. Sans un mot, par ces placements et ces sauts, et par les quelques chansons qui ponctuent le spectacle, les jeunes acrobates disent tout de leur énergie et de leur désir d'exister, de leur rapport au groupe et de leur singularité individuelle, du risque qui est le moteur de leur discipline et des liens de confiance qui les unissent. Zimmermann et de Perrot les prennent tels qu'ils sont, respectent leur intégrité et parviennent, par le langage scénique qu'ils déploient, à leur faire disséquer leur mécanisme propre, à proposer d'eux-mêmes une image à la fois synchrone et disloquée, fidèle et incongrue, exacte et à contretemps.
Réjouissant, et frais, et beau, et juste.