Muses de Bela - Ludovic Flamant

Publié le  03.03.2015

Au départ, il y a l’envie de provoquer la rencontre. De voir comment les pratiques se répondent, ricochent, ou pas, font des grands écarts. Pendant l'édition 2015 de la Foire du Livre, nous invitions des auteurs dans un salon aménagé sur notre stand. On leur a dit: soyez la muse l’un(e) de l’autre. On leur a dit aussi: on aimerait que vous parliez de votre métier d’auteur. On a ajouté: si vous nous envoyez un portrait après, ça nous intéresse – mais si vous préférez partir sur la fiction, l’illustration, la poésie,… allez-y. On leur a dit enfin: vous avez 48h pour nous envoyer votre création après la rencontre.

Dimanche 1er mars à 14h, c’était au tour d’Emmanuelle Pol et de Ludovic Flamant de se retrouver dans le salon des Muses. Ludovic a réalisé un portrait d’Emmanuelle, que voici :

 

Deux fauteuils : l’un à deux places, l’autre à une place. Je m’assois dans le plus grand et attends. Ma muse du jour sera-t-elle homme ou femme ? J’espère secrètement une femme, sans savoir très bien pourquoi. J’espère toujours les femmes. La muse arrive et c’en est une. Belle. Cela n’a pas d’importance, bien sûr… Aucune importance. Qu’importe qu’elle soit belle ? Elle s’assoit dans le fauteuil à une place. On me la présente : Emmanuelle Pol. Je pense « P.O.L., comme les éditions » mais en vérité elle est publiée chez Finitude. Un recueil de nouvelles et trois romans. « En vérité », c’est drôle… Drôle de chercher la vérité, pour nous les auteurs qui vouons notre vie à la fiction, aux histoires arrangées. Tout de suite nous parlons de cela, du fait d’écrire à partir d’un certain vécu, à propos d’autres que nous connaissons et qui seront amenés peut-être à se reconnaître en nous lisant. Elle se lève, change de fauteuil : « Ce sera plus sympathique ici ». C’est à cet instant que je remarque ses yeux charbonneux. Elle écrit sous pseudonyme, dit-elle, femme à la triple, quadruple vie et qui voudrait pouvoir garder chacune isolée de l’autre. Lorsqu’elle a sorti son premier livre, elle n’avait pas réalisé l’exposition que ce serait : se retrouver comme l’insecte à qui l’on retire d’un seul coup la pierre qui se trouvait au-dessus de lui, en plein soleil. Des inconnus mais surtout des connus pouvant tout à coup lire son intimité. Sa mère ne lui a plus parlé pendant six mois ! Son compagnon a mal pris certaines choses… Il va falloir que je parle de tout cela à mon tour, tâcher de ne pas trahir ses propos. Ne ferais-je pas mieux d’écrire une fiction plutôt qu’un portrait ? Eh ! Qui sait… Peut-être en est-ce une ? Vérité et mensonge. Un jour, elle a entendu quelqu’un  faire des déclarations à la presse, tronquées, lacunaires. « Je le sais parce que j’avais assisté à l’affaire.  Après, le journaliste retranscrit tout cela à sa sauce et c’est encore d’autres mots, d’autres mensonges. Pas forcément volontaires mais mensonges tout de même. Ça m’énerve, ce mensonge partout ! Je voudrais plus de vérité. Mais… Moi-même, au fond, quand j’y songe… C’est si difficile d’être loyal avec ce que l’on fait. » Bon, il se peut que moi aussi je réarrange à ma sauce. Ce qui intéresse Emmanuelle dans ses histoires, c’est le processus : comment un personnage va passer d’une situation, d’un état, d’une croyance à une autre. Et la chair. Le désir. Mais sans que ce soit de la littérature érotique pour autant : « L’érotisme, c’est destiné à l’excitation. Or parler de la chair, ça peut juste être un angle d’attaque pour parler de la vie ! Je voudrais plus de vérité au sujet du corps, du corps vieillissant, notamment. On dit si peu de choses là-dessus. Doris Lessing l’a fait. J’essaye de le faire… Un jour, une connaissance m’a dit à propos d’un de mes livres « Ah ! Enfin, c’est dit ! » Cela m’a rendue si heureuse… C’est un tel soulagement pour l’être humain quand quelque chose est enfin dit ou montré. »
T’ai-je dite ou montrée, Emmanuelle ?

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