Genèse des Langues paternelles

Publié le  07.07.2010

À quelques heures de notre première avignonnaise, quelques mots sur la genèse des "Langues paternelles", spectacle dont j'assure la mise en scène, présenté au Théâtre des Doms, à 11h00, du 7 au 27 juillet.

 

J'ai découvert ce roman signé David Serge en 2006, lorsque Daniel Schneidermann dévoila sur son blog qu'il en était l'auteur. Je suivais alors assidument son travail journalistique (tout comme aujourd'hui du reste) et j'appréciais sa plume. J'ai donc lu le roman.

 

Les nombreuses résonances intimes entre l'histoire de David et la mienne m'ont bouleversé. En refermant le livre, j'ai su pour la première fois que je serai père. Ma première fille est née quelques mois plus tard et doit son existence à cette lecture.

 

Bien entendu, le choc personnel ne suffit pas à motiver la mise sur pieds d'un spectacle. C'est l'aspect polyphonique du roman qui m'a décidé à en entreprendre l'adaptation. Dans le livre, les voix de David, de son père et de son fils Stan se téléscopent et se confondent.

 

En 2006, j'étais immergé dans le travail d'écriture de Jean-Marie Piemme, immersion qui débouchera deux ans plus tard sur la publication de nos conversations « Voyages dans ma cuisine ». Plus particulièrement, j'avais filmé l'intégralité du processus de création du spectacle « Boxe », dans la mise en scène de Virginie Thirion, où deux acteurs jouaient le même boxeur Toni et deux actrices la même coiffeuse Olga. Les quatres cumulaient aussi tous les autres personnages du texte. Plusieurs voix pour une seule figure ; plusieurs figures pour une seule voix.

 

À la même époque, le spectacle du groupe Toc « La Fontaine au sacrifice » avait suscité mon admiration, entre autres choses pour le tourbillon polyphonique qu'il proposait.

En refermant le roman de David Serge, je savais que cette matière pouvait me permettre de m'exercer à ce type d'écriture scénique.

 

En 2006, Thomas Depryck n'était pas encore auteur de théâtre mais il était déjà mon ami, et dramaturge sur les spectacles amateurs que je montais alors. Je lui ai proposé d'adapter avec moi « Les Langues paternelles ». Coupes multiples et tripartition de la parole ont débouché sur une première version, longue, à proposer aux trois acteurs choisis, au printemps 2007.

 

Hervé Piron jouait dans « Boxe » et dans « La Fontaine au sacrifice ». Je connaissais son intelligence du plateau ; je savais qu'il serait un partenaire idéal pour traiter cette matière polyphonique.

Vincent Sornaga m'avait plusieurs fois impressionné lorsqu'il était étudiant à l'Insas. Son jeu brutal, très « dramaturgique », me semblait proposer un contraste intéressant face à celui d'Hervé.

Renaud Van Camp avait été formé par Frédéric Dussenne ; je connaissais sa capacité dans le jeu à mettre la langue en avant, à faire sonner les mots, à poétiser le réel. Contrepoint à mes yeux parfait face aux deux autres venus de l'Insas.

Trois modes de jeu très différents, qu'il me faudrait faire se rencontrer sur le plateau.

 

La première étape de travail à L'L en juin 2007 (dix jours de plateau) nous a convaincus que le projet avait un sens. Les encouragements de Jean-Marie Piemme et de Michèle Braconnier furent déterminants pour la suite. La rencontre avec Daniel Schneidermann, son soutien sans faille ont également joué un rôle important. Premier dépôt en Commission du Ministère de la culture en 2008, refusé. Second dépôt en 2009, accepté (17 000€ octroyés). Entre ces deux dépôts, outre la refonte du dossier, j'avais acquis le soutien de Catherine Simon au Centre culturel Jacques Franck, et aussi un peu de légitimité au sein de l'institution, grâce à quelques textes publiés dans « Scènes » et « Alternatives théâtrales », et surtout grâce à la parution des conversations avec Jean-Marie Piemme, qui furent très bien reçues.

 

Le travail de création s'étala sur trois sessions en 2009. La première, en juin, d'une durée de deux semaines, fut exclusivement consacrée à l'exploration de notre rapport personnel à la matière. Interviews et improvisations autour de nos pères et de nos enfants (Hervé et Vincent sont eux aussi des pères), discussions, confessions, etc. Thomas et moi avons ensuite compacté l'adaptation, en la centrant exclusivement sur les rapports père/fils, au détriment de tous les autres aspects du roman. La répartition des textes entre les trois acteurs fut aussi partiellement modifiée après cette première session. En septembre (trois semaines), la deuxième session fut l'occasion de dessiner la structure du spectacle, d'en ébaucher la dynamique complète. En novembre-décembre (trois semaines), têtes dans le guidon, le spectacle a émergé. Il fut bien reçu, a bénéficié d'une bonne presse, fut programmé au Vrak, sélectionné pour les Doms, nommé aux Prix de la critique.

 

Ce matin, dans deux heures, ce sera la première à Avignon.

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