Il faut une première fois.

Publié le  06.01.2013

La première fois que je me suis dit que j'allais faire du documentaire radiophonique, ce fut un peu par hasard. Je pense à ça soudainement, étant en plein montage d'un nouveau projet. Et chaque fois que je travaille sur un nouveau projet, je pense au tout premier, celui qui a ouvert le bal !

J'étais étudiante en théâtre et pas du tout consciente, à ce moment-là, de ce que le son pouvait m'apporter. Alors que je devais réaliser un exercice qui s'est ensuite transformé en travail de fin d'étude, je suis tombée nez à nez avec un sujet magnifique et qui semblait m'appeler inexorablement : les urgences de l'hôpital Saint-Pierre de Bruxelles.

J'avais connu le côté fusionnel de la scène, le groupe, le partage, la découverte, la création. Mais je ne m'attendais pas à découvrir tout cela dans un univers aussi lugubre que pouvait l'être ce service d'urgence. Je ne m'imaginais pas tout ce qui pouvait naître dans ce lieu, en termes d'intensité émotionnelle et surtout, bien évidemment, vitale. Quelle ignorance ! En fait, je ne savais rien (et je ne suis pas sûre que les choses se soient améliorées sur ce point).

Eh bien, mesdames et messieurs, il s'en fallut de peu que je devienne infirmière ! Je ne serais pas là à vous raconter ma vie…

J'ai passé plusieurs journées et plusieurs nuits aux urgences. Chaque rencontre fut unique et touchante. Je découvrais la complexité humaine. L'Homme plein de pudeur et aussi, bien souvent, empli de douleur. Je quittais les lieux, aux petites heures du matin, me demandant ce que je pouvais bien faire sur scène et ce que j'allais bien pouvoir changer dans le monde, en récitant Antigone ou Phèdre et ses « Ah, Cruel, tu m'as trop entendue. Je t'en ai dit assez pour te tirer d'erreur »… Ah, Cruel ! Ah, cruelle vie, me disais-je ! A quoi bon ?

Tout à coup, je me disais qu'il fallait à tout prix que mon travail se tourne vers quelque chose de plus direct. Je voulais donner la parole à monsieur et à madame tout le monde, sans truchement. Parce que je me rendais compte que ce faisant, une petite flamme s'allumait en eux. Un petit sourire apparaissait au coin de leurs yeux. Et puis, le plaisir qu'ils avaient à partager leurs histoires ! Comme si en quelques mots, ils parvenaient à dire ce qu'ils avaient au fond du cœur. Et ce serait trop beau si cela avait pu réellement les aider. Mais il me semble, tout de même, que certains en sont sortis transformés. Un peu comme moi, d'ailleurs. Je me demandais si certaines de ces personnes avaient déjà mis les pieds au théâtre et ce qu'elles auraient compris de Phèdre ou d'Antigone… Bon, fort heureusement, le théâtre a créé depuis d'autres personnages dont certains sont plus proches de notre réalité urbaine. J'ai beaucoup pensé à Antigone, pendant mes premières prises de son, à l'hôpital… Aujourd'hui, cela ne m'étonne pas plus que ça.

Finalement, je me suis dit que je n'allais pas devenir infirmière. Ce n'est pas la vue du sang, mais plutôt celle de la douleur qui m'était difficile. Et puis, je pensais qu'il fallait encore que j'apprenne l'art de la parole pour pouvoir la donner à ceux qui font notre monde aujourd'hui, ici, là-bas, partout.

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