La dédicace

Publié le  27.06.2011

Concentrée, je roule. Je ne suis qu'à une centaine de kilomètres de chez moi, pourtant j'ai l'impression de chahuter le bout du monde. Sur le siège arrière, quelques exemplaires de mon premier livre tressautent dans leur petite caisse. Ils ont sur moi une sorte de pouvoir rassurant. « Auteur » - c'est ainsi que certaines personnes m'appellent désormais -, je trouve le terme un peu pompeux, il me gêne. Mais je n'en possède aucun autre à proposer. « Bonjour, je suis auteur… », derrière le volant, je répète à voix haute, pour m'entraîner, pour apprivoiser le mot. Ça sonne étrangement faux. J'ai quitté l'autoroute. La nuit vient de tomber, résolument, comme un drap sur une cage d'oiseau.  Les routes se font chemins, lacis et j'ai peur de faucher un cerf ou un faisan. « Après le bois, ce n'est plus très loin », m'avait rassurée le 'délégué à la promotion littéraire' du cru. Il avait aimé mon livre, tellement (dixit) qu'il désirait organiser une petite soirée de présentation dans son village, là-bas, dans le sud. Flattée, j'avais accepté sans hésitation.

Je me gare, jette un œil perplexe dans le rétroviseur : je n'ai pas l'habitude d'être mise à l'honneur, même si c'est du livre dont il s'agit. Je me décide à sortir. Je ne sais pas très bien si je dois prendre mes bouquins ou les laisser sur la banquette arrière. Je traverse la rue les mains vides. La maison est petite, coquette. Je sonne. Elle m'ouvre, souriante. On dirait que ça lui fait plaisir que je sois là. Elle secoue ses mains, s'excuse de ne pouvoir serrer la mienne : son vernis sèche ! « Il va arriver », me dit-elle en remplissant, les doigts écartés, deux verres de vin. Assurément, elle s'est mise sur son trente-et-un et je regrette le choix un peu négligé de mon jean. Le voilà, il m'embrasse, décide de me tutoyer. Il est inquiet. C'est la fête de la bière au village d'à côté et il craint que l'orge et le houblon l'emportent sur la soirée littéraire. Il a collé des affiches partout mais, il faut bien l'admettre, le compétiteur est de taille. Je reprendrais bien un verre de vin rouge avec les sandwichs mous. Il faut toujours manger, avant, prétend-il. Je refuse un troisième verre. Il est bientôt l'heure. « Surtout, reste assise ! » J'aide tout de même à débarrasser la table. À suivre…

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