La dédicace 3
Il me dit : « C'est un ancien compagnon de classe ! » « Compagnon ? » Je regarde son corps étroit, ses mains fines, presque osseuses, ses articulations délicates, puis ce sourire si terriblement féminin. Sa langue a dû fourcher. Mais, il insiste : « Oui, maintenant, c'est une très belle femme. Avant, crois-moi, c'était un homme. » Il me glisse encore qu'elle est un excellent médecin, qu'elle exerce en Inde, qu'après son opération, elle a décidé de commencer une nouvelle vie ailleurs. Je voudrais en savoir plus, mais déjà mon hôte tapote sur son inutile micro. Un, deux, un, deux. Il remercie la petite assemblée, sort de sous la table un titanesque bouquet de fleurs et me l'offre. Je me demande à quel moment je vais me réveiller. Je bredouille un « merci » mal assuré. Déjà il complimente mon écriture, l'échappée belle où elle l'a entraîné. Je suis embarrassée. Il lit quelques extraits. Je doute qu'ils sont de moi. Le texte me paraît étrange, lu par un autre. Il ne m'appartient plus. Ce soir, rien ne m'appartient plus. Je regarde l'Indienne, le papa d'Amélie, ce gamin installé au premier rang - un livre-holic de douze ans - qui boit tous les mots dits. J'entends le vieux qui ronfle, au fond de la salle. Il est venu pour la chaleur humaine, et le verre de vin. Rien ne semble réel, pourtant rien ne l'est davantage. Je réponds aux questions. La veillée s'éternise un peu. Je crois que les gens me fascinent. Dans mes romans, j'aimerais les sublimer.
J'ai signé six livres. Si je veux vendre, m'a conseillé le gamin, c'est à la télé que je dois passer.
Sur la route du retour, j'ai failli empaler un chevreuil.
Depuis ce soir-là, j'ai un peu l'impression de ne m'être jamais réveillée.