La Rochelle - Le billet du comité

Publié le  21.09.2016

Jean-Luc Goossens est scénariste. Membre du comité belge de la SACD, il a fait partie de la délégation belge à la Rochelle, au festival de la fiction télévisuelle. Voici l'écho du comité, en exclusivité pour Bela !

LA ROCHELLE – Le billet de l’accompagnateur du comité belge…

La Rochelle, on le sait, est devenu l’un des meilleurs festivals de fiction télévisée en France, tous formats confondus (téléfilms, séries 26′ et 52′, programmes courts et webséries).

La Sacd et sa dynamique animatrice de l’action culturelle, ainsi que sa Présidente, ont coutume depuis plusieurs années d’y envoyer un auteur-pitcheur, prêt à se jeter à l’eau pour faire partager oralement son projet à une salle pendue à ses lèvres, en accrochant si possible, parmi les auditeurs, un producteur à l’affût de la bonne histoire.

Si le rôle du pitcheur est clair, on peut se demander à quoi sert l’accompagnateur du comité belge. Moi-même, il m’arrive de me poser cette question. Certes, l’accompagnateur va s’efforcer de rassurer le pitcheur en distillant quelques bonnes paroles (« Mais oui ça va bien se passer… Ne t’inquiète pas, les autres sont sûrement plus mauvais, etc… ») et en lui donnant quelques conseils sur sa présentation. Puis à l’écouter en lançant les applaudissements. Et enfin, à lui dire à l’issue de sa prestation qu’il a été formidable. Ce qui fut le cas cette année encore! Mais est-ce suffisant?

Le rôle de l’accompagnateur du comité comporte aussi un certain nombre de missions d’ordre bassement pratique, mais de la plus haute importance. Sont requises ici des aptitudes dignes d’un animateur de mouvement de jeunesse. Par exemple, guider le pitcheur, la Présidente et la dynamique animatrice depuis la gare jusqu’au bureau des accréditations par un trajet pédestre adéquat, en évitant ainsi tous frais de taxi inutiles (chaque euro de l’action culturelle se doit d’aller aux auteurs(-trices) et non aux taximen(-women), c’est bien connu).

Autre mission essentielle, accompagner le pitcheur aux déjeuner et dîner organisés par nos amis et partenaires de la SACD France, veiller à remplir au besoin le verre du pitcheur (pas trop de vin bien sûr avant sa prestation, juste assez pour conjurer le stress… on devine que le dosage est extrêmement précis, toute erreur d’aiguillage du pitcheur risquant de le faire dérailler ou à tout le moins buter sur les mots).

En vérité, il fallut attendre le trajet du retour pour que l’accompagnateur du comité belge pût enfin faire la démonstration de son utilité. Car affronter les festivaliers, les producteurs et toute une salle avide d’histoires palpitantes n’est rien, en comparaison du défi qui consiste à rallier la gare du Nord depuis la Gare Montparnasse, dans le temps imparti de la correspondance.

Après avoir géré l’achat des tickets de métro, l’accompagnateur entraîne le pitcheur dans la rame de la ligne 4, Direction Porte de Clignancourt, quand soudain, tout s’arrête. Message du conducteur: suite à une erreur d’aiguillage à la station suivante, le métro qui nous précède est obligé d’effectuer une manoeuvre de demi-tour (authentique!) Après quelques minutes d’attente, nous atteignons enfin la station suivante, puis la dépassons… et nouvelle erreur d’aiguillage, nous faisons nous aussi demi-tour et revenons à la station précédente. Là, tout s’arrête définitivement, les voyageurs sont sommés de descendre et de se démerder, lâchés dans la nature comme des chiens, aucune prise en charge, aucun itinéraire alternatif.

Les chances de rallier la Gare du Nord à temps s’amenuisent cruellement, à la grande consternation du pitcheur, mais aussi d’un jeune couple de Chinois totalement dépassé par l’absurdité de la situation. Et c’est là que l’accompagnateur du comité belge, fort de sa pratique des transports en commun parisiens, et d’une bonne connaissance de l’anglais, va tenter de remplir son ultime mission: amener le pitcheur (mais aussi les Chinois) à la gare du Nord, avec cet effroyable time-lock de la correspondance qui crée soudain un suspense insoutenable. Il faut sortir de la station à toute vitesse. Rallier au pas de course, en trainant les valises sur les grands boulevards, la station Saint-Michel Notre-Dame bien connue de l’accompagnateur, où une ligne RER directe, la B pour être tout à fait précis, permettra de rejoindre la gare du Nord après avoir franchi toujours à vive allure d’interminables couloirs et escaliers multiples, mais aussi joué des coudes et copieusement poussé son prochain pour s’engouffrer dans une rame prise d’assaut par tous les exclus de la ligne 4… et c’est ainsi qu’au terme d’une folle équipée, l’accompagnateur, le pitcheur et les Chinois parviendront enfin à s’engouffrer in extremis dans le Thalys, non sans avoir essuyé l’inévitable contrôle de sécurité vigipirate digne des pires aéroports, qui nous aura encore fait perdre de précieuses minutes.

La chute de cette aventure? Dans un bel échange culturel destiné à favoriser la fraternité des peuples et le cancer du poumon, les Chinois reconnaissants offriront au pitcheur un authentique paquet de cigarettes de leur pays (sans photo ni message anxiogène).

Une belle histoire, même si on ne peut s’empêcher de penser que ces erreurs d’aiguillage dans le métro parisien pourraient avoir des conséquences bien plus graves qu’un récit qui déraille dans la bouche d’un pitcheur mal aiguillé, qui ne butera jamais que sur les mots. Par chance, ce ne fut pas le cas : tant la RATP que notre auteur héroïque réussirent à éviter la catastrophe !

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