L'écrivain du dimanche
Je suis un écrivain du dimanche. Et encore… À l'instar de tous les écrivains du dimanche, enfin… c'est ce que je me dis pour me consoler entre une série à la télévision (américaine, comme toutes les bonnes séries) ou un épais roman (allemand, comme tous les bons romans épais), à l'instar de tous les écrivains du dimanche, je n'écris pas vraiment le dimanche. En tout cas, pas tous les dimanches. Le dimanche, c'est connu, est le jour idéal pour ne rien faire. Pas tellement pour des raisons bibliques (encore que là, les voix divines n'avaient pas tout à fait tort ; ne rien faire, c'est bon pour la santé) ; mais tout simplement parce qu'il faut bien passer un jour, une fois que les six autres nous ont assené leur lot de choses à faire (c'est bien le sens du mot agenda en latin), une fois que l'on s'est épuisé à penser à tout et à ne rien oublier, y compris en dormant, ça fait du bien, crénom, de se dire qu'il n'y a plus rien faire. Or… c'est à ce moment-là que l'écrivain du dimanche devrait se dire : « Allez ! Au travail ! Faut s'y mettre ! » ? Non mais ! Parfaitement impensable. Quiconque, parmi tous les écrivains du dimanche, a déjà vécu ces affres dominicales ne pourrait ne pas être de l'avis de l'auteur de ces lignes (écrites d'ailleurs un dimanche)… Le luxe, ce serait - c'est ! - parce que même les écrivains du dimanche rêvent de luxe ! - de ne pas « s'y mettre » (à écrire) lorsque le seul moment de la semaine est venu qu'on puisse et qu'on doive donc le faire. Et c'est absolument délicieux alors de se planter devant une série à la télévision (américaine, comme toutes les bonnes séries) ou d'ouvrir un épais roman (allemand, comme tous les bons romans épais) en oubliant que le dimanche et le reste du monde existent. Or, il arrive plus d'un dimanche que l'écrivain du dimanche se rappelle qu'on est dimanche et que l'heure a sonné de secouer sa muse. Aussi, il est des dimanches - plus nombreux qu'on ne le souhaiterait - où l'écrivain du dimanche ouvre son ordinateur, caresse l'écran d'une main accablée, d'un œil légèrement désespéré, et laisse courir ses doigts sur les touches, abandonnant à jamais le farniente délicieux qui lui était pourtant échu… C'est ça ou la mauvaise conscience de ne pas travailler. Parce que le farniente du dimanche, pour l'écrivain du dimanche, ça ne marche que lorsqu'il oublie qu'on est dimanche (ça peut arriver) ou lorsqu'il oublie d'oublier que son travail, son travail du dimanche, l'attend (ça peut aussi arriver). Et c'est comme ça que la littérature, enfin pour une part, s'écrit.