L'entonnoir de septembre

Publié le  13.10.2010

Nous étions dans la lenteur du mois d'août. Nous nous laissions mûrir lentement selon les caprices de la météo, un peu de soleil pour nous endurcir les os, un peu d'eau pour nous hydrater la peau. Nous sortions la bouteille de rosé au moindre rayon de soleil et nous passions au vin rouge les soirs de trop de fraîcheur.

 

Quelque chose de juillet nous chauffait encore les reins et nous avions le désir de l'autre au bout des seins. Le parquet ciré de neuf, dans le salon, ne craquait plus sous nos pas, le poêle éteint ne ronronnait plus....

Septembre est vite revenu pour rappeler, en première ligne, nos enfants. Il leur a dit que le temps de courir dans tous les sens et pour le simple plaisir de courir prenait fin et qu'il leur faudrait s'asseoir, longtemps, et seulement courir un peu, parfois, à la demande, en rang.

Nous, les adultes, si nous ne les avions pas déjà devancés, nous avons suivi nos enfants. Nous nous sommes sentis aspirés par quelque chose qui venait de loin, que nous avions laissé au mois de juin, au pied de la grille de l'école, de l'usine, du bureau.

Les enfants partis, nous avons retrouvé les courriels, les appels, les rappels, les projets à remettre, vite, les sollicitations à qui il faut répondre rapidement. L'urgence, telle une fleur ne se gorgeant que des brumes et des grisailles de l'automne, s'est à nouveau épanouie. Les pages des agendas se sont rouvertes à toute allure, les mois d'octobre, de novembre, de décembre ne suffisaient plus. Il a fallu déjà ouvrir l'agenda 2011, s'aventurer dans les obligations futures, bloquer des dates et s'interdire de se dire qu'un jour pourrait se suffire à lui-même, que l'avenir ne se doit en rien d'être à nous avec certitude.

Nos enfants, d'une classe à l'autre, posent une fesse sur une chaise l'espace de cinquante minutes. Ils ont ensuite le droit de changer de local et de poser l'autre fesse cinquante autre minutes. Ils défilent ainsi toute la journée sur les sièges bancals d'un certain savoir obligatoire où il n'est question que de leur avenir, celui qu'on voudrait écrire à leur place, dans le grand livre mensonger de la réussite.

Le soir, après avoir bien vaqué, nous nous endormons tous rapidement, laissant à nos rêves le vaste espace d'un autre temps pour remplir nos lits d'une grande, d'une belle, d'une inépuisable vacance.

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