Paresseuse contrariée

Publié le  30.01.2013

Une chambre à soi ce n'est pas assez, il faudrait l'espace des sphères où déambuler seule à ne rien faire, histoire de se reconstituer une virginité après les célébrations intensives de la nativité. Décembre hyperactif entre trente volontaires de huit à soixante-huit ans à enrôler dans l'atelier Belle île en l'air, sept plumes dans l'atelier d'écriture Le bol à punch à entrecroiser en contes d'hiver et de froidure, un sixième épisode de Canicule à caser (Une maison délabrée meurt de chaud depuis plusieurs étés), Blood, sweat & tears, une contribution intempestive qui entraîne à revisiter à toute allure l'enfance d'une femme future il y a cinquante ans passés. Sans sacrifier les répétitions de Sur un lit de fougères, féerie pour bêtes et dames sentimentales, à acheminer sans faillir vers générale, avant-première et première dès le lendemain de Noël.

Il aura bien fallu un demi-siècle d'exercices spirituels réguliers pour ne pas se mélanger les neurones, âges, rôles et identités. Se concentrer à volonté. Écarter vigoureusement de la table, balayer de l'atelier soucis et peines, préoccupations étrangères. Faire le vide, se laisser chercher, sentir juste à l'oreille avant de voir et penser clair. Repassage au réveil des créneaux horaires divers, programmes, sentiments, états d'âme. Libre livre de bord tenu à jour pour se souvenir à quel point la vie quotidienne fût variée, surprenante et active. Jardinage, petits bonheurs. Bien manger, avoir des provisions, du linge propre et rangé, des chaussures en état de marche, veiller au bon fonctionnement des objets usuels et des machines utiles. Soigner cheveux, teint, chevilles tordues sur les pavés du Far-West bruxellois. Bonne humeur et ouverture, fermeté quand c'est nécessaire, courtoisie toujours. Dormir tout son saoul. Canaliser l'adrénaline qui pour un rien incendierait les importuns. Lucidité, calme, sang froid et prompts réflexes à travers l'agitation de sociabilités multiples. Éviter de se défouler sur les bonnes pommes, demeurer affectueuse, attentive et pleine d'humour avec les amis, la famille et les êtres chers, sourire aux nouveaux visages. Avoir des flopées d'idées et stimuler les ateliers. Accepter les fatigues et les rhumes, les démotivations et sautes d'humeur des ados stressés par les examens. Mener à bien cette mise en scène avec un acteur capable de beaucoup et qui s'expose, vulnérable, lunatique et audacieux. Entraînement digne d'athlètes avant de délivrer un travail tout beau, tout maladroit comme ces poulains, ces agneaux nouveau-nés, tout mouillés, tremblants, vacillants sur leur quilles qui se déplient, font quelques pas sans rien savoir encore du monde.

Le premier cercle est là, perméable ou non à la merveille et moi déjà extrêmement contente que ça respire et que ça tienne debout, que ça trotte, rue, pousse un petit galop de fantaisie. Le jeu libre, l'assurance et la tornade seront pour plus tard. Pas de trou, texte ok, à la virgule, effets lumière fondus enchaînés. Tout ce qui a été minutieusement préparé, concerté, répété bien en place.

 

C'est un exploit que tous les spectateurs ne soupçonnent pas, ils reçoivent un peu estomaqués un paquet vivant, une bombe d'énergie accumulée. Sans commentaires. Il a fallu se mobiliser pendant des mois et des mois pour écrire, produire, extorquer du temps aux emplois du temps, réserver des territoires de répétitions, repousser les invasions de responsabilités parasites, donner priorité à la création sans trop s'alarmer l'avenir. Est-ce que ça va plaire ?

Est-ce que ça va tourner ? Le réel lève des armées pour empêcher le désir de se réaliser, que font les fées ? Initier, attendre, recevoir, éclaircir, chercher, parler d'autre chose, progresser, laisser la mémoire travailler. Lectures préparatoires, premiers jets, partenaires à convaincre, la légende se tisse chaque jour. En ont témoigné la saison dernière des classes qu'étonnèrent encore le mystère d'écrire et les forêts enchantées des poètes anciens. La même vieille histoire d'amour aux cicatrices encore sensibles, trace de combats amoureux immémoriaux, gagnés ou perdus, selon l'habileté et la force de l'adversaire et dont sont nés des contes difficiles à croire tout comme est difficile à vivre d'une passion l'insoluble énigme qui la fait durer en dépit du bon sens. Et ça se noue, ça se défait et ça repart quand on n'y croit plus et ça vous empêtre et vous épuise et l'on ressort du labyrinthe ou des enfers sans avoir trouvé la réponse avec tout le parcours à reformuler.

Quels commentaires pourraient être à la hauteur d'une telle aventure ?

Reste à écouter les spectateurs se taire, rire, se laisser faire, s'avouer vaincus, être épatés, sonnés, ennuyés, s'endormir et se réveiller sans comprendre, embarqués dans la tempête, soulagés d'en sortir comme l'acteur ou l'auteur : secoués et indemnes !

À découvrir aussi

Retour de Brest: l'écho du Comité avec Paola Stévenne

  • Fiction
Si vous voulez rencontrer Sylvain Gire (Arte Radio), Irène Omelianenko (ACR. France Culture), Perrine Kevran (LSD. France Culture), Daniel Mermet (Là-bas si j’y suis), les producteurs des radios assoc...

La dernière convocation

  • Fiction
La dernière convocation Aujourd'hui, 24 avril 9h35, est le jour de ma dernière convocation.

Supplique (mon Avignon 2011 – jour 5)

  • Fiction
   Allez, donnez-nous plus ! Allez, prenez des risques ! Allez, quand on a face à soi un type de la trempe de Nicolas Bouchaud, on le porte, on lui fait davantage confiance, on le laisse exp...