La surprise, l'oeuvre, le lieu

Publié le  09.05.2011

Cliché trompeur, mais pas forcément menteur, l'inspiration est souvent le fruit de déclenchements extrêmement précis et concrets, bien plus intéressants que les apparitions mythiques du Génie ou de l'Esprit Saint.

 

Difficile toutefois d'en parler toutefois autrement qu'en faisant allusion à sa propre expérience.

 

1990. Une R4 claire, conduite par une jolie femme, m'emmène sur les routes désertes de l'Estrémadure. Elle se dirige d'abord dans les solitudes ascétiques du Monastère de Palancar. Un cloître en bois, particulièrement exigu, s'arc-boute à une roche évidée. San Pedro de Alcántara s'y lovait en fœtus pour dormir dans un fabuleux inconfort.

 

Une ou deux heures plus tard, au creux des lointains de la Sierra de Gredos, la Vera déploie ses frondaisons. La route monte, sinue, puis débouche subitement sur un terre-plein qui donne accès au monastère de Yuste. C'est là, nous a-t-on raconté, que Charles Quint, un contemporain de San Pedro, se retira en 1556 dans une cellule de moine.

 

Première surprise : le billet d'entrée comporte la mention « Palacio y Monasterio ». Deuxième surprise, alentour, tout est vert - comme en Belgique -, mais baigne dans une lumière vive, celle du Sud. Troisième surprise, de cellule, point !

 

À gauche, le monastère est constitué de deux quadrilatères, datant respectivement des XVIe et XVIIIe siècles. Au centre, une église, pas imposante et en contrebas du terre-plein. Sur le flanc droit de l'église, un petit palais. On accède par une rampe empierrée, simple mais majestueuse. Un étang, des jardins, tels qu'on en voyait à l'époque en Brabant, entourent cette poupe de pierre qui flotte dans un paysage admirable aux proportions infinies. Physiquement et moralement, on est aux antipodes de l'Escurial.

 

Avec des composantes qui paraissent proches…

 

La rampe donne accès à une belle terrasse couverte entourée de colonnades. Elle sert d'antichambre au bureau et à la salle à manger du vieil empereur, tous deux inondés de lumière et baignés de mémoire. Plus sombre, de l'autre côté du couloir, la chambre donne sur le chœur de l'église et sur le Jugement dernier dont Charles Quint discuta la composition avec son peintre préféré, le Titien.

 

Tout s'éclaire, tout se révèle, du secret d'un homme, d'une Histoire et d'une application.

 

Les clichés s'effondrent. Le romantisme en prend, une fois de plus, pour son grade. Apparaît en revanche la vérité d'une conscience et d'une âme. Me saisit et me transporte le surprenant mélange de beauté et de simplicité de ce palais secret. Rien à voir avec Versailles ou Tsarkoie Selo.

 

Nous quittons les lieux alors qu'approche le crépuscule. Nous prenons un chemin arboré, ombragé, tel que le vieil empereur dut en parcourir plus d'un. Je demande du papier et un bic à ma convoyeuse. Les mots me pressent.

 

La Nuit de Yuste, que je publierai en 1999, est engendrée. Et ma conscience de l'Histoire, profondément, et à jamais, bouleversée.

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