Pourquoi j'ai quitté la carrière de Boulbon (mon Avignon 2011 – Jour 6)

Publié le  21.07.2011

 

 

Topo préalable : Sophocle / Vè siècle avant JC / 123 tragédies écrites / 7 conservées : Ajax, Antigone, Les Trachiniennes, Œdipe Roi, Électre, Philoctète, Œdipe à Colone / Projet Sophocle de Wajdi Mouawad = présentation des 7 tragédies en trois ensembles thématiques / Cette année « Des Femmes » (Les Trachiniennes + Antigone + Électre) / 2014 : « Des héros » (Ajax + Oedipe Roi) / 2015 : « Des mourants » (Oedipe à Colone + Philoctète) /

                                                                                                       *

Hier soir avait lieu à la Carrière de Boulbon la première avignonnaise du premier ensemble sophocléen conçu par Wajdi Mouawad. Six heures trente de tragédie grecque dans un cadre exceptionnel. À 21h30, Les Trachiniennes. À 23h45, Antigone. À 2h30, Électre. J'ai quitté les lieux après la première des trois pièces. Voici pourquoi.

 

On a beaucoup parlé de ce projet lors de sa création pour des raisons que je croyais mauvaises. La participation de Bertrand Cantat en tant que compositeur de la musique originale et interprète du Chœur a déchaîné un flot médiatique rare pour une création théâtrale. En lisant l'émouvantelettre de Mouawad à sa fille, puis en découvrant la critique de René Solis dans Libération au moment de la création du spectacle en région bordelaise, on percevait bien que la présence de l'ex-leader de Noir Désir n'avait rien à voir avec de la figuration. Mais on n'imaginait pas à quel point le projet dans son essence était fondé autour du Choeur-Cantat.

Dès les premières minutes du spectacle, on comprend que la singularité du projet est très exactement celle-ci : faire raconter ces tragédies vieilles de trois mille ans par un homme d'aujourd'hui incarnant plus que quiconque et aux yeux de tous une dimension tragique contemporaine. Le trouble imaginé par Mouawad, c'est, via Cantat, la rencontre des siècles, l'appropriation de la matière grecque. La question posée, c'est « le destin de Cantat et de Marie Trintignant est-il différent de celui d'Héraklès et Déjanire ? ». C'est « quel regard le tragique peut-il porter sur lui-même ? ». Risqué et dérangeant. À juger sur pièces.

Mais à Avignon, pas de Cantat.

Et, pour le remplacer, une bande enregistrée.

Les trois musiciens qui l'accompagnent sont sur scène. Sa voix résonne dans le magnifique écrin de la carrière, ample, tonitruante, démolie. Il dit le tragique de Déjanire ; il dit la mort et le crime ; il chante à pleins poumons. Mais dans un studio, loin, face à un micro. Et toute la puissance du geste est tronquée, amoindrie ; et toute l'entreprise artistique devient bancale ; et toute l'action qui se déploie paraît petite, anecdotique, dérisoire. Si le spectacle se fonde sur le regard de Cantat sur l'action, sans Cantat il était ridicule de maintenir « Des Femmes » dans la programmation du festival d'Avignon. Aurait-on imaginé un instant diffuser les playbacks du « Condamné à mort » en cour d'honneur sans la présence physique de Moreau et Daho ? C'est pourtant la position résignée, absurde et incompréhensible adoptée ici. Dès lors que Cantat renonçait à se produire à la Carrière de Boulbon, il fallait annuler ces représentations.

 

Il se trouve que le Théâtre Royal de Namur (par ailleurs principal coproducteur de mon prochain spectacle durant la saison 2012-2013) programme « Des Femmes » du 18 au 22 janvier prochains. Il se trouve que Patrick Colpé (directeur du TRN) a publiquement défendu la venue de Cantat à Namur, à coups d'arguments cohérents et courageux. Il faut qu'il tienne bon. Et que chaque directeur de chaque lieu accueillant « Des Femmes » fasse de même.

 

Pour ma part, avec intérêt, je verrai à Namur l'« Antigone » et l'« Électre » de Mouawad.

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« Des Femmes », d'après Sophocle, traduction de Robert Davreu, mise en scène de Wajdi Mouawad, Carrière de Boulbon, jusqu'au 25 juillet.

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