Tombeau du Géant
Charles est né à Anderlecht, près du stade de football. Son cœur s'est brisé contre un cœur de femme. Mais une fonctionnaire européenne peut-elle tenir les promesses de l'amour ? Charles a demandé son transfert définitif : loin des cris et des gaz carboniques, la campagne la plus vague, la plus obscure, la plus écartée du séisme capital. Soit, le Luxembourg : il y pleut plus qu'ailleurs, de cette pluie qui mouille les larmes. Sauf dans les campings, il ne s'y croise aucun habitant d'Anderlecht et les arbres y poussent mieux qu'en ville, à quoi pendre la maladie d'amour.
En Ardenne, mis à part dans la grand-rue de Bastogne, rien n'empêche de randonner à l'infini, d'un plateau à l'autre, et même nulle part ou encore dans ses propres rêves. Pour éponger sa misère, Charles a choisi de s'oublier dans les chemins creux. Le port des bottes y est aussi naturel que l'escarpin dans la rue Neuve. A Bruxelles, la nature est une vague idée qui fait pâlir le ciel. En Ardenne, les ruisseaux ont des reflets de poignard, et de lentes rivières élargissent leurs courbes dans le labyrinthe des sapinières. Tous les gouttes à gouttes au bord des schistes ou des corniches, les écoulements d'argenterie, les suintements de sources rappellent à Charles combien, ici, la terre pleure plus que les yeux.
En amour comme en religion, il faut prendre la mesure de sa déesse.
Ainsi, de ces hêtres, qui demeurent, tandis que passent les regrets et les chagrins; ou de ces méandres qui soutiennent le Tombeau du Géant entre leurs paumes souillées par l'automne. Et que dire de cette lumière penchée sur le pauvre Charles en train de revisiter le film où la belle Européenne lui signifie son licenciement en traduction simultanée? Qu'elle tremble, cette lumière, en moussant sur les feuillus, et qu'elle console comme la Semois raconteuse de légendes aux messieurs qui ont besoin de se distraire d'une peine qui n'en finira jamais.