Le burnout de Madame B.

Publié le  06.09.2010

En date du dimanche 29 août 2010, l'Hôpital Universitaire Esculape, HUE, a publié son quatrième communiqué bimestriel de l'année relatif à l'état de santé de Madame B.¹, comme le prescrit la loi du 1er avril 1930.

 
Dans ce rapport signé des plus hautes sommités médicales du pays, on peut lire que les symptômes dont les premières manifestations étaient apparues au lendemain des élections du 13 juin 2010, se sont considérablement accentués. Brièvement évoqués dans le communiqué précédent, ils font cette fois l'objet d'une description dont la minutie témoigne de la gravité qu'ils présentent aujourd'hui. Intégrés à une longue anamnèse qui remonte loin en amont des événements de juin passé, ils fondent le diagnostic sans appel de l'équipe médicale : Madame B. souffre de burnout caractérisé.

Le syndrome d'épuisement fonctionnel que les Anglo-saxons nomment « burnout », les Japonais, « karoshi », mort par excès de travail, et les Français, « craquage », est, rappellent les auteurs, une des plus graves pathologies professionnelles du siècle. Il touche en particulier des personnes, ayant des idéaux élevés de réussite et de performance, dont l'activité comporte de hautes responsabilités vis-à-vis de la collectivité. Enfin, il se manifeste selon un schéma tridimensionnel : épuisement émotionnel et physique, diminution de la productivité et surdépersonnalisation que le malade exprime en déclarant : « je ne sais plus comment je m'appelle… »

 

En termes choisis, visant à informer l'opinion publique tout en protégeant, autant que faire se peut, l'intimé de la patiente, les auteurs décrivent comment et pourquoi Madame B. se consume du dedans, victime d'un incendie interne dont elle croyait les départs de feu sinon éteints, du moins sous contrôle, qui la brûle de partout, l'épuise et la fragilise chaque jour davantage.

 

Le rapport fait état de tension en hausse, d'intense fatigue due aux pressions, aux stress traumatiques ainsi qu'aux difficultés sans cesse renouvelées, de pertes de confiance, de risques de rupture internes et de sérieux disfonctionnements des organes vitaux entraînant l'apparition de crises à répétition. La patiente éprouve le sentiment d'être face à une « tâche titanesque » qui exige « de concilier l'inconciliable… ». Quoique dotée d'une intelligence du compromis que d'aucuns lui envie, d'une ouverture d'esprit et d'un bon sens peu communs, Madame B. présente ce jour tous les signes de la pathologie décrite.

 

Sans doute aux fins de dédramatiser quelque peu la situation, les médecins évoquent l'effet potentiellement, quoique très partiellement, vaccinal de « l'orange bleue », mais recommandent cependant de soumettre, sans délais, la patiente à une thérapeutique « efficace et équilibrée » qui prenne en compte « toutes les entités structurelles » sans exception, afin de restaurer les forces vives de l'organisme malade et de « rétablir la confiance ». Dans le but « d'assainir sans appauvrir », diverses options thérapeutiques sont avancées : la scission, la refonte, la révision, la suppression d'une entité et son intégration par pontage au sein d'une autre, l'autonomisation des fonctions vitales, etc. Autant de propositions de traitements, lourds et invasifs, faisant appel aussi bien à la chirurgie qu'aux dernières avancées de la pharmacologie et de l'ingénierie médicale.

 

De nouvelles consultations au chevet de la malade sont prévues, elles seront suivies de « caucus singuliers et multilatéraux » au terme desquels un consensus thérapeutique pourrait être dégagé.

 

A lire le communiqué entre les lignes, la recherche de ce « consensus » est symptomatique des divergences existant au sein de la Faculté ; si un accord est officiellement souhaité par tous les médecins consultants, la méthodologie et les moyens à mettre en œuvre pour l'atteindre, sont très diversement perçus. Par exemple, le recours aux thérapies génétiques : défendu par certains, le greffage de cellules souches relancerait adéquatement la dynamique défaillante de la patiente, alors qu'il est farouchement combattu par d'autres qui y voient un risque de pérennisation d'un état de fait qui n'a que trop duré, et partant, un déni de l'indispensable changement radical à opérer. En d'autres termes : « le changement, hic et nunc, à tout prix », versus, « oui, au changement, mais pas à n'importe quel prix ».

 

En conclusion, l'état de santé de Madame B. est déclaré préoccupant, voire, à certains égards, critique, mais pas désespéré. Si les désordres structurels et l'extrême fragilité subséquente requièrent, dans les plus brefs délais, l'application de mesures « idoines, complètes et adéquates », les paramètres vitaux de la patiente restent stables.

 

Le vendredi 3 septembre 2010, l'HUE fait état d'une nouvelle crise provoquée par un total blocage interne. Cette fois, la situation de la patiente est qualifiée « d'inextricable ». Le communiqué ajoute cependant qu'un « remède miracle » capable de dégripper les points de vue antagonistes en présence, est malgré tout, toujours, recherché.

 

En attendant, Madame B. s'accroche, lutte et, pour se donner du cœur au ventre, pense au temps où nous chantions son « invincible unité » à l'unisson.
Vous ai-je dit que le burnout est « la maladie des battants » ?

 

 

¹ Ceux et celles qui s'interrogeraient de l'identité de « Madame B. », voir le roman éponyme de Jacqueline De Clercq, paru aux éditions Luce Wilquin en 2000.

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