Vertige en vynile vert
Il y a quelques années, une amie m'a offert un album trouvé aux puces. Un classeur de vynil vert qui porte l'étiquette « Isabelle » et contient les photos de quatre générations de femmes. Pas d'autres hommes que les jeunes frères, et deux intemporels, flottants (ils n'ont pas de place et ont été fourrés entre les pages : un peintre devant son chevalet dans une prairie, un Monsieur chic, lisant, dans une cour chaulée. A y regarder de près, quelqu'un a recomposé l'album à partir de photos arrachées ailleurs (des marques au dos l'attestent). Pourquoi ? Pour réécrire le passé ? Effacer les indésirables (les hommes ?) ? Une histoire se glisse entre ces photos qui sont trop soignées pour avoir été prises en passant. Celui qui tenait l'objectif connaissait son affaire, et l'aimait... Un photographe ? Le peintre flottant ? Il y a une histoire que je ne peux pas inventer : elle existe déjà. Pendant un temps j'ai rangé l'affaire dans un coin en me disant « on verra ». Mais j'ai rien vu, sinon mes propres souvenirs, mes photos perdues, et mes questions, toujours pareilles : que faire des récits glanés au cours des rencontres, que je ne peux pas m'empêcher de noter, de retenir... Isabelle vient me rappeler ces bribes d'histoires récoltées dans les trains, les salles d'attente, les pauses d'atelier... Ces petits bouts de la mémoire humaine qui se dissout sans éclat, ces photos trouvées que je regarde défiler sur trocambulante.com, ces centaines d'interviews répertoriées sur bna-bbot.be, cette impression que nous sommes témoins les uns pour les autres... ça me fait une belle jambe face à l'album vert, qui s'ouvre sur une reproduction étrange, photo repeinte, faire-part peut-être... Qui était le témoin d'Isabelle ?