Zéro huit

Publié le  18.01.2011

Le Français rêve de Paris sauf le 08 qui rêve de Belgique. C'est que l'Ardennais des Ardennes n'est pas un Français comme les autres. Géographiquement, il se trouve moins isolé de sa Capitale que le Breton ou le Marseillais. Mais son pays est si pauvre, si pluvieux, si peu souriant que ses compatriotes s'en détournent, comme s'il n'existait que dans les romans d'André Dhôtel. Les bornes du territoire français, vers le Nord, ce serait la Champagne où les bouchons sautent sur fond de craie blanche et de robe de mariée. Au-delà s'étend un no man's land, dont on prétend qu'il bat les records en matière de chômage, d'alcoolisme et d'internements psychiatriques.

La grande consolation de l'Ardennais, outre la salade au lard et le boudin de Rethel, consiste à tourner le dos aux Parisiens tout en rêvant la semaine durant à ce qu'il fera le jour du Seigneur. Non qu'il songe un instant à s'évader verticalement, par la religion; son pèlerinage à lui, le dimanche, le destine à la Belgique, au volant de sa Citroën, flanqué de sa petite famille, éventuellement de la belle-mère. Car passer la frontière, c'est franchir une limite à la fois dans l'espace physique et mental. Le quotidien fait place au miracle d'être ailleurs, comme dans un conte pour adultes. Le mot « Belgique » a des relents de frites et de chocolat au lait. Les marchands de meubles, les bureaux de tabac, les pompistes même y donnent à la consommation des saveurs d'aventure. Tout est moins cher, et lorsque c'est l'inverse - rarement - la qualité l'emporte comme le schiste belge l'emporte sur les façades cimentées ou la pierre ocre de Domlemesnil.

Le Graal du 08, le dimanche après-midi ? La balade ondulante le long de la Semois, depuis Haute-Rivière jusqu'à Florenville. Le plaisir est si profond, si intime que suivre les courbes des virages forestiers sans même s'arrêter aux panoramas pousse au bonheur. Les dimanches ensoleillés -  aussi rares ici que les gagnants du Loto - on assiste à la procession des 08. Ils adoptent des lenteurs de moine et des masques d'enfants affamés. On le sait, ici, la bière d'abbaye est meilleure que la française ;  idem pour le cervelas, les gaufres au sucre, les crêpes, les moules de Zélande, les frites surgelées et même les notes de restaurant oubliées par l'Ardennais sur un coin de table tant l'étreint la mélancolie de repasser la frontière, pour rentrer chez lui, au bout du monde.

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