Bela ciao, ciao Bela!
Bela ciao, ciao Bela !
Une exploration du projet Bela
– avec Jacques De Decker, ancien président du Comité belge de la SACD (1991-1994 et 1998-1999), Paola Stévenne, Présidente du comité belge de la Scam et Inès Rabadán, Présidente du Comité belge de la SACD
Pourquoi Bela ? Qu’est-ce qui a décidé les Comités belges à créer ce site à l’époque ? Qu’est-ce que c’est Bela pour vous, aujourd’hui ?
Jacques De Decker: C’était le support qui manquait, surtout quand on se place dans les usages d’aujourd’hui, nettement moins tournés vers les supports traditionnels. La circulation par Internet est infiniment plus souple que dans les circuits classiques. Quand on va sur Bela, on y voit une quantité d’auteurs impressionnante. Une maison d’édition, par exemple, fonctionne avec au maximum une centaine d’auteurs – ici on est bien au-delà et cette offre immense est servie par la souplesse, la rapidité et la rigueur de la transmission. On est encore dans une période intermédiaire, on se sait pas vers où on se dirige, mais je trouve qu’il est réconfortant de se dire que c’est une société d’auteurs qui a pris le virage et pas une entreprise strictement commerciale. Il y a quelque chose de subversif là-dedans, ce qui est paradoxal puisque la subversion vient de l’institution.
Paola Stévenne: Bela est aussi le reflet des Comités belges de la Scam et de la SACD. Les Comités sont des lieux formidables où les auteurs se rencontrent à travers les différents répertoires, de la radio à l’écrit, de l’audiovisuel au spectacle vivant. Cela crée des synergies, ça crée aussi une attention particulière aux autres. Pour moi, Internet a en quelque sorte pris le relais de la radio. C’est une communication rapide de un à un. Et dans cette idée de subversion, Bela dit : être auteur c’est un métier. Tous les moyens de diffusion des auteurs et les lieux où ils pouvaient exister sont en crise, mais Bela affirme que ces gens ont toujours un métier et c’est quelque chose que j’ai envie de revendiquer. Auteur c’est un métier avec ce que ça suppose de formation, de compétences, de temps de travail,… Ce n’est pas une situation, un statut, c’est une profession.
Inès Rabadán : Entièrement d’accord avec Paola, même si j’aime aussi beaucoup cette sorte de gratuité qu’il y a dans Bela, le partage d’une pensée, d’un goût pour les mots, de la joie d’être auteur ou autrice. Je me souviens d’un billet de Selma Alaoui, « Les gardiens du seuil », qui m’avait donné envie de lui écrire et de la rencontrer. Ce billet, qui est toujours sur Bela - c’est une des merveilles d’internet en même temps que sa folie, cette archive prolifique - n’est qu’un fragment de ce qu’on trouve sur ce site des auteurs, et je trouve que sa beauté, son intelligence, donnent la mesure de cette compétence dont parlait Paola à l’instant.
Bela, c’est un outil de communication, de promotion, d’échange entre les auteurs et aussi de mobilisation. Ça vous évoque quoi la mobilisation ? Si il devait n’y en avoir qu’un motif de se mobiliser et de mobiliser les auteurs, ce serait lequel ?
JDD: J’ai à chaque fois l’impression d’être un combattant de l’arrière-garde quand je dis ça : je suis pour le droit d’auteur. Je ne suis pas pour la possibilité d’achat économique de l’autorité – donc je suis contre le copyright et pour le droit d’auteur. Il y a un exemple que je cite toujours, celui des inventeurs de Batman. Ils faisaient de la bd avant-guerre. Leur concept a été acheté par Opera Mundi et depuis lors, il n’y a plus aucun lien entre quoi que ce soit qui arrive à Batman et ses auteurs. Ils auraient pu être milliardaires et sont laissés pour compte. Là se trouve le vrai enjeu du copyright : pouvoir acheter la créativité de quelqu’un. On a peut-être offert des sommes qui paraissaient colossales aux auteurs mais eux n’imaginaient pas les déclinaisons possibles à partir de ce qu’ils ont créé, en images animées par exemple. Ça, c’est le boulot des entrepreneurs. C’est une gigantesque escroquerie à mes yeux.
C’est dans le domaine du droit d’auteur qu’on trouve les meilleurs combattants et en particulier la SACD et la Scam. Ce sont eux qui sont à l’origine de l’exception culturelle, et c’est là que les sociétés d’auteurs sont incroyablement courageuses, parce qu’elles entrent en frontal avec la tendance actuelle. Symboliquement, c’est extrêmement fort.
PS: Placer les auteurs en avant-garde, c’est mettre au centre la vision du monde et le projet monde des auteurs, qui n’est pas un projet industriel et qui est toujours un peu en avance sur son temps. Le droit d’auteur est une vieille mobilisation qui dépasse la question de la rémunération des auteurs. Pour moi, c’est essentiel. En partant de sa propre chapelle de défense du droit d’auteur, on se bat pour d’autres chapelles : le droit des femmes à être autrice, le droit d’être auteur dans des pays où il n’y a pas de liberté économique ou de liberté d’expression. Dans nos pays aussi, tout le monde n’a pas le même droit à être auteur, c’est la base.
IR : Promotion, échange entre auteurs, mobilisation : je suis tellement souvent frappée par la solitude et le désarroi d’auteurs et d’autrices qui me racontent leurs inquiétudes, leur précarité, et n’osent pas ou n’ont pas l’impression de pouvoir revendiquer ce à quoi leur travail de créateur devrait leur donner droit. Le droit d’auteur et la gestion collective dont parle Jacques sont un modèle qui met au centre et donne des droits à ceux qui créent, à ceux sans qui cette industrie n’existerait pas. La mobilisation pour moi doit se faire pour garantir que ce système perdure, mais aussi pour en élargir le champ d’action.
JDD: Il y a auto aussi dans auteur. Il y a la solitude, la liberté de parole d’un individu, à qui il est très facile d’imposer le silence. Société d’auteurs, c’est magnifique : c’est la mise en commun d’individualités dont on préserve le droit de faire leur métier et dont on garantit un peu les revenus.
PS: Et dont on promeut les idées.
Quel serait le partenaire idéal pour Bela ?
PS: C’est important de positionner Bela comme le site de tous les auteurs.
JDD: Toujours dans cette idée de subversion, mettre au point un réseau qui fournirait les services d’attachés de presse, et qui le ferait par engagement pour un coût raisonnable.
PS: La question n’est pas seulement de savoir ce que Bela peut relayer mais aussi où Bela peut être relayé, c’est un chantier qu’on n’a pas encore beaucoup abordé. Je pense à quelques médias comme par exemple Mediapart, au Journal du Lundi, et je me demande comment faire bifurquer Bela vers ces médias, pour que les auteurs y soient repris, pour que les portraits d’auteurs par les auteurs ou les billets d’humeur des auteurs circulent. Reste à voir comment faire, et selon quel modèle économique. L’objectif serait que Bela devienne un partenaire pour des groupes médias.
Bela propose aujourd’hui une nouvelle rubrique consacrée aux petites annonces. Quelle petite annonce posteriez-vous ?
JDD: « Cherche archiviste ! »
PS: En tant qu’autrice, je fonctionne par projets. Là, je travaille sur les supermarchés pour un récit radiophonique. Donc : « Je cherche vos récits de supermarchés, ça peut être des images aussi… ». Quelque chose que vous auriez envie de partager sur ce lieu.
IR : Pour les deux films que je prépare, mais aussi pour tous les projets et événements auxquels je travaille pour la SACD, j’adorerais avoir un(e) stagiaire ! Mais en même temps je suis scandalisée par la multiplication des boulots non payés. Donc il faudrait que je réfléchisse à : comment faire pour rémunérer un ou une stagiaire, et là je pourrais poster mon annonce !
Quels sont vos sites internet de prédilection ? Où est-ce que vous êtes sur le net?
JDD: Je vais sur les sites des journaux, à l’étranger surtout. Je lisais les journaux flamands à Bali. Mais en tant que dinosaure, je ne suis pas un grand consommateur d’Internet. J’ai aussi très peur de l’addiction et de l’aspect chronophage. Les seuls sites que je consulte systématiquement sont les sites sur les carrières d’acteurs quand je regarde un film…
IR : J’utilise les sites de référence pour le cinéma, le scénario, etc, et des sites de partitions musicales, et puis je passe parfois du temps sur des sites d’artistes, photographes surtout.
PS: J’ai un usage réel de Mediapart. J’adore 6mois et la photo du lundi. Je suis une grande consommatrice de podcasts sur différents sites. Pour le moment je suis ravie de la naissance de Tënk (nouvelle plateforme de documentaires de création sur abonnement en ligne), j’ai mon abonnement.