En août 2020, Léonie Bischoff publie chez Casterman la bande dessinée Anaïs Nin : sur la mer des mensonges, un roman graphique qui retrace l’histoire d’une femme sans tabou se sentant à l’étroit dans un début de XXe siècle étriqué.
À l'occasion de cette sortie en librairie, elle répond aux 10 questions de l'interview culte de Bela. On y découvre notamment sa passion pour Claire Bretécher, son intérêt pour Mona Chollet, son amour pour Sharon Van Etten, et ses autres coups de foudre du moment. De ses livres à ses séries préférés, plongez dans l'univers culturel de cette grande autrice.
Quel est le livre qui a changé votre vie ?
Il y en a eu beaucoup... J'ai souvent l'impression qu'il y a des livres qui me tombent dessus pile au moment où je suis prête à les lire ! Le dernier à m'avoir fait cette impression, c'était Sorcières, la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet. Un livre qui aide à comprendre les mécanismes qui font que dès qu'une femme cesse d'appartenir, que ce soit à quelqu'un ou à la norme, elle devient dangereuse aux yeux de la société. Et du coup cela permet aussi de reconnaître et d'apprécier toutes les choses en nous qui ne sont pas conformes... Entre la magie et la création, il y a beaucoup de points communs, et ça n'est pas en restant sagement dans les clous que l'une ou l'autre peuvent arriver !
Quelle BD vous a donné envie de devenir autrice ?
Je crois que Les Compagnons du crépuscule et Les Passagers du vent de François Bourgeon y ont été pour beaucoup. C'était des grandes sagas, où chaque personnage a sa propre histoire qu'on devine, on sort des codes de la BD d'aventure ou humoristique qui avait accompagné mon enfance. Ce sont des bandes dessinées que je relisais régulièrement, avec le plaisir de retrouver les personnages, de redécouvrir leur périple... Petite, j'aimais plus que tout lire et dessiner, et je crois que c'est avec ces deux séries que j'ai compris que la BD pouvait être l'alliance parfaite des deux !
Quel est le livre à offrir à votre meilleur ami ? Et à votre pire ennemi ?
À mon.ma meilleur.e ami.e, j'aimerais offrir un livre que j'ai adoré, pour pouvoir en parler ensuite avec lui.elle... J'aime partager mes obsessions du moment ! Aujourd'hui, ça serait probablement le livre-manifeste de Bertoulle Beaurebec Balance ton corps paru aux éditions de La Musardine. Et à mon.ma pire ennemi.e, la même chose, car je ne crois pas avoir réellement d'ennemis, seulement des personnes que je souhaiterais pouvoir faire changer d'opinion, et ce livre porte une voix trop rarement entendue, celle d'une travailleuse du sexe ne rentrant pas dans le cliché ni de la femme asservie ni de la repentante mais au contraire intelligente, cultivée, féministe et joyeuse !
Quel personnage de BD fantasmez-vous être ?
C'est compliqué... La plupart des BD qui me touchent mettent en scène des personnages torturés, ou à qui il arrive des choses difficiles ! S'il fallait choisir, je dirais sans doute Adèle Blanc-Sec, pour son flegme presque à toute épreuve, sa capacité à ne pas chercher à être aimable, et son goût assumé pour la solitude ! Cela dit, je n'aurais pas du tout aimé vivre à son époque !
Quelle est l’auteur ou l’autrice qui vous a marquée ?
Claire Bretécher, sans hésitation ! Déjà parce que, quand j'étais enfant, elle était la seule autrice de bande dessinée à ma connaissance. Je pense que ça a planté une première graine d'autant que j'aimais beaucoup faire « des trucs de mecs », mais savoir qu'il y avait quand même au moins une femme qui avait trouvé sa place était encourageant. Et puis parce que ses livres se lisent et se relisent à tout âge, on y pioche différentes choses à chaque fois... Et elle avait tellement capté la psychologie humaine que ça n'a pas pris une ride en 40 ans !
Quel est votre film culte ?
Le film La Leçon de piano de Jane Campion. À nouveau, une femme derrière la caméra, une héroïne dont la force ne vient pas de valeurs masculines (contrairement à mes autres héroïnes d'adolescence : Ellen Ripley et Sarah Connor)... Je ne m'en rendais pas compte à l'époque mais c'est sans doute aussi pour ça que ce film m'a tant habitée. Le personnage joué par Holly Hunter est impressionnant de détermination, il y a un regard désirant posé sur le corps des hommes, on est vraiment avec l'héroïne. Et la musique du film est une merveille. C'est un film qui fait appel aux 5 sens, qui immerge.
Quelle chanson écoutez-vous en boucle en ce moment ?
Tout l'album de Sharon Van Etten, Remind Me Tomorrow, qui m'a accompagnée pendant le confinement et le bouclage de mon album, et qui ne me quitte pas. Ce sont des chansons qui m'inspirent une certaine nostalgie, une envie de voyager de nuit, des ambiances de station-service au milieu de nulle part, voire la bande-son pour un road trip qui n'arrivera peut-être jamais !
Quelle est votre œuvre d’art culte ?
Le tableau « Des Caresses » de Fernand Khnopff. C'est un tableau très étrange, immobile, qui m'avait fasciné depuis mon adolescence et qui continue de me plaire énormément. Il évoque le malaise diffus d'un rêve, un mélange de plaisir et d'effroi, un passage entre deux mondes... Les personnages sont très androgynes, presque des être neutres sur lesquels les spectateur.tice.s peuvent projeter leurs propres imaginaires !
Quelle est votre pièce de théâtre culte ?
Je n'ai malheureusement pas une grande culture théâtrale, mais le dernier grand coup de cœur que j'ai eu sont les productions de la compagnie System Failure. Un mélange surprenant de théâtre, danse, voix enregistrée, extrait de film, etc. pour évoquer de manière détournée des sujets actuels avec des idées de mise en scène brillante !
Quelle série recommanderiez-vous de voir en ce moment ?
La série anglaise I may destroy you. Elle est à regarder avec précaution car elle parle de viol, de résilience et de reconstruction, c'est donc très dur par moment, mais l'autrice, qui est aussi l'actrice principale, propose une galerie de personnages surprenants, très loin des clichés et de la facilité. C'est aussi une série qui parle d'amitié et de confiance, de compromis, de prise de conscience, de courage et de lâcher-prise... Un vrai choc !