Métiers du spectacle vivant : Arnaud Timmermans, Producteur
par Maud Joiret dans le cadre du Festival d'Avignon 2014.
Quel est ton parcours ?
J’ai fait des études de philosophie. J’ai terminé en 2009, en parallèle avec un master en histoire du cinéma. J’ai tourné un petit film de danse dans le cadre de ce master. Après mes études, j’ai postulé un peu partout dans les institutions culturelles. Mais en me voyant arriver avec un diplôme de philo, ils se demandaient un peu ce que je venais faire pour des postes de production, de diffusion, de gestion de budget, etc.
La production, la diffusion,… c’étaient des métiers que tu connaissais déjà ?
J’avais envie de travailler dans la culture et comme je n’avais pas de réseau, je répondais aux offres d’emploi que je trouvais. J’essayais de rentrer dans ce milieu, sans avoir vraiment de compétence. J’avais envie de ça. J’ai postulé dans des choses très différentes, d’Ars Musica à Thierry Smits en passant par les Tanneurs. Et puis, un jour, j’ai participé un peu par hasard à un workshop organisé par le CAS (Centre des Arts scéniques) autour de Yoshi Oida. C’était un concours de circonstances, un ami qui ne pouvait s’y rendre m’avait donné sa place. Et j’ai découvert le théâtre, que je connaissais très mal. J’étais plutôt musique et danse ; je viens de la musique par ma famille – on est tous musiciens.
Donc, on fait ce workshop et je découvre le travail de répétition, l’investissement de tous ces gens par rapport à ce qu’ils font – et ça me passionne. Et puis, nouveau concours de circonstance : Sarah Siré, metteuse en scène, arrive en Belgique à la recherche de collaborateurs et me contacte. Très vite, on s’inscrit à une formation à la production, à Liège.
À ce moment-là, tu n’avais jamais travaillé dans la production ?
Non. Je me suis beaucoup investi dans cette formation parce que je trouvais qu’il y avait à la fois une manière très concrète d’acquérir des compétences mais aussi de réinterroger déjà, dans l’apprentissage des mécanismes, des modèles de fonctionnement de cette profession. Je trouvais ça vraiment passionnant. Ça répondait aussi à la déformation professionnelle que j’avais eue par mes études de philo qui m’amenait toujours à re-questionner le cadre et à remettre en cause les soi-disant évidences, etc. Là, je trouvais qu’il y avait une pratique qui permettait ça.
Par qui cette formation a-t-elle été mise en place ?
Elle est organisée par Théâtre & Publics, un centre de ressources fondé par Max Parfondry, l’ancien directeur du Conservatoire de Liège. Cette formation était donnée par Philippe Taszman du Groupov et Claude Fafchamps d’Arsenic. J’ai été engagé au bout de la première année de formation (la formation dure deux ans) d’abord pour la Charge du Rhinocéros, puis pour Arsenic, pour des tâches différentes lies à la production. Notamment pour Blackbird, qui est joué aux Doms cette année.
Qu’est-ce que c’est, en fait, la production de spectacles ?
C’est essayer de réunir les conditions qui font qu’un spectacle trouve sa forme et son public. C’est penser le devenir concret d’un projet artistique, tous les paramètres qui vont déterminer ce que sera le spectacle. Notamment où il est créé, pour quel public. C’est souvent comment regarder autrement les cadres de production traditionnels que sont le théâtre et les coproducteurs.
À la base, c’est rechercher des financements ?
Non, c’est vraiment penser un projet. Le financement n’est qu’un aspect. L’argent n’est qu’une façon de traduire en chiffres une manière de voir la réalisation d’un projet. On part toujours du principe qu’on a trop peu d’argent ou qu’il faut toujours trouver de l’argent. En fait, on se rend compte assez vite, quand on fait de la production et qu’on essaie de la faire de manière un peu consciente et pas uniquement instrumentale, que cette question d’argent finit par occulter une grande série d’autres questions qui sont plus importantes, qui vont déterminer ce pourquoi on recherche un financement et comment on le recherche, quels partenaires on essaie de trouver et quelle est la justesse et la pertinence de ça par rapport au projet. C’est la même chose que la question du public. Souvent, on part du principe que le spectacle s’adresse à tous. On peut essayer d’affiner cette réflexion en se demandant à qui on veut s’adresser et comment on veut atteindre réellement ce public-là plutôt que de parier sur le fait que ça s’adresse à tous. Donc, voilà, c’est essayer de trouver le destin, le trajet de vie du projet du point de vue de sa réalisation concrète et pratique, matérielle. Avant de courir à la subvention. C’est d’abord s’arrêter, ralentir un peu le processus, réinterroger les désirs, les présupposés du projet artistique et voir comment il peut se réaliser.
Tu fonctionnes avec des sociétés de production ou des compagnies ? Comment ça se passe ?
J’ai travaillé deux ans pour Arsenic qui est une compagnie qui a un contrat-programme et produit ses spectacles directement. Pour les metteurs en scène avec qui je travaille de manière plus indépendante, ça dépend. C’est souvent à partir des compagnies elles-mêmes parce que c’est quand même là pour le moment que l’interface se fait entre les aides aux projets et les créations. Mais je suis en train de réfléchir à l’idée de monter un bureau de production et justement d’essayer de savoir quelle pourrait être la meilleure forme de ça, la meilleure manière de travailler déjà sur la pensée. C’est quoi un bureau de production ? À quoi ça doit servir ? Comment orienter ça ? C’est une ancienne idée et je cherche à savoir si c’est toujours une bonne idée. C’est un travail que je ne veux pas faire seul et en réflexion avec d’autres partenaires.
Il y en a beaucoup, des bureaux de production en Belgique ?
Quelques-uns. Les principaux, en Communauté française, sont La Charge du Rhinocéros ou Audience Productions. Mais c’est assez rare. Je pense que ça tient principalement au fait que les structures de base, c’est les théâtres et les compagnies, et que cette fonction d’intermédiaire est relativement peu imaginée dans la relation entre un artiste et les structures qui l’accueillent. Ce sont ces structures, les théâtres, qui jouent ce rôle-là – ce qui fait partie de leurs missions d’ailleurs. L’idée de pouvoir réfléchir aussi à côté ou en biais par rapport à la traditionnelle solution d’accueil dans un théâtre ne fait pas partie d’une structure encore ancrée.
Est-ce que tu as l’impression que ça change, avec la nouvelle création peut-être ?
La jeune création commence à l’envisager. Mais quand même, quand je rencontre les artistes, on est vite dans un schéma d’administrateur. Tu sens que le désir qui est exprimé dans la collaboration, c’est avant tout de soulager une charge de travail administrative, de prospection, de faire appel à un auxiliaire. À chaque fois, je viens avec cette idée que c’est vraiment un partenariat, une collaboration où on réinterroge les choses. Je ne me vois pas du tout comme un « exécutant » mais vraiment comme un collaborateur sur le projet, avec la volonté de se dire parfois qu’il faut déplacer les angles de vue ou réorienter la vision qu’on a du projet pour qu’il puisse advenir.
Quitte à modifier le spectacle lui-même ?
Quitte à repenser la chose.
Ça t’est déjà arrivé de dire qu’il faut repenser tout un projet, par exemple par rapport au public ?
Ça arrive en permanence en fait. Et je pense que, même sans un producteur, un artiste le fait. Dans le dialogue avec le producteur, il y a tout à coup l’existence d’une interrogation sur la production et ses conditions, incarnées par une personne qui permet de clarifier ces deux pôles communiquant sans cesse. C’est une séparation qui est beaucoup plus difficile à assumer je pense dans une seule personne. Il y en a qui y arrivent très bien mais, la plupart du temps, les choses sont beaucoup plus mélangées. Comment on réagit au réel, face à tel partenaire inattendu ou qui disparaît ? On pense le projet en fonction des conditions réelles auxquelles on est confrontés.
Tu penses donc que la diffusion doit faire partie des fonctions d’un producteur ?
Pour moi, c’est compliqué de séparer les deux. Un spectacle ne peut pas se penser en dehors de la réflexion sur son exploitation, sur sa diffusion. Ou alors c’est vraiment une démarche très spécifique où on crée un objet qui aura une vie unique et c’est une intention. C’est pour ça que je ne travaille pas ou très peu à la diffusion pure de spectacle – parce que ce n’est pas ce qui m’amuse le plus en tant que tel et surtout, parce que pour l’avoir déjà fait, ça me manque vraiment de ne pas avoir accompagné un projet depuis ses origines.
Est-ce que tu penses qu’il y a un vrai besoin de producteurs en Belgique, des places à prendre ? Et qu’il faut aussi des formations pour ça ?
Oui. Je fais partie de Conseildead. On a une réflexion depuis plusieurs mois sur la manière dont le milieu belge francophone fonctionne et notre diagnostic c’est qu’il est souhaitable de remettre des leviers d’autonomie auprès des artistes et des compagnies. Et notamment des possibilités de travailler en autoproduction ou en autodiffusion, donc de décentraliser un peu le milieu. Pour le moment, les grandes institutions disposent de la grande majorité des leviers de diffusion et de production des projets, ce qui crée parfois des impasses pour des projets qui ont un devenir qui ne s’inscrit pas parce que ce n’est pas la bonne saison ou le bon moment. Qui peinent à trouver des partenaires institutionnels mais qui pourraient développer leur démarche en dehors des circuits classiques en réinventant notamment une manière plus indépendante ou indirecte la relation au public. C’est trouver le moyen que des projets artistiques puissent se faire en dehors des structures existantes, qui permettent des expériences qui soient plus déliées du rôle centralisateur et moteur des grandes institutions.
Interview réalisée le 19 juillet 2014 à Avignon.