Caroline Logiou : "Il faut rester ouverte sur quelque chose qu’on n’attend pas"

Publié le  19.02.2021

La remise d'un prix par un jury indépendant n'est pas un événement anodin dans une carrière d'auteur.rice. Au-delà d'une reconnaissance par ses pairs, cette récompense donne assurément un coup de projecteur sur l'œuvre ou la personne primée, et garantit parfois une rentrée d'argent supplémentaire. Pour sa 2e édition, le Brussels Podcast Festival met en place une nouvelle compétition dédiée aux podcasts natifs belges à travers 3 prix distincts.

En quoi consiste concrètement le fonctionnement d'un jury ? Une semaine avant le lancement du BPF 2021 qui se déroule du 25 au 28 février, Bela a tendu son micro à la dramaturge et metteuse en scène Caroline Logiou afin qu'elle nous parle de sa participation au jury des prix du festival. 

photo d'une femme posé sur son coude avec les cheveux rassemblés sur l'épaule gauche
© Caroline Logiou

Qui êtes-vous ? Quel est votre rôle dans cette deuxième édition du Brussels Podcast Festival ?

Je suis Caroline Logiou, autrice, dramaturge et metteuse en scène de théâtre. Je suis membre du jury des prix du Brussels Podcast Festival 2021. Je siège aux côtés de 4 autres femmes (Sarah Diedro Jordão, Nina Cohen, Eva Seker, Erika Delaby) qui ont toutes des parcours très différents. Cette diversité au sein des jurés est certainement l’assurance de valoriser des podcasts d’horizons divers et de mettre en valeur une pluralité d’écoute. Un jury hétéroclite donc, mais nous sommes quand même toutes des femmes. Ce qui est particulier car assez rare, cela a dû assurément colorer la sélection. Je ne les connaissais pas avant de faire partie du jury, nous avons fait connaissance au fil des débats (qui étaient en réalité surtout des discussions constructives).

En quoi consiste la mission de membre d’un jury des prix du BPF ?

Je suis mandatée pour écouter de nombreux documentaires sonores et de fiction afin de sélectionner un.e lauréat.e pour chaque catégorie. Heureusement, nous n’avons pas dû passer en revue tous les projets reçus suite à l’appel à candidatures du BPF. Le festival a sélectionné pour nous 11 documentaires (parmi 45 candidatures) et 10 fictions (parmi 15 projets envoyés). Nous avons ensuite fait une présélection de 7 documentaires et de 5 fictions, avant de choisir un.e seul.e gagnant.e par catégorie.

Est-ce que l’écoute d’un podcast est différente selon que l’on soit membre d’un jury ou pas ?

J’ai très vite réalisé que la réception d’un podcast n’était pas la même quand je l’écoute en train d’allaiter ma fille à 4h du matin, quand je l’écoute à midi, avec des écouteurs, sur une enceinte, selon l’humeur du jour, selon le temps qu’il fait… Cela m’a beaucoup perturbée au début, car je me disais que je n’allais jamais arriver à choisir objectivement. J’ai ensuite compris que c’était la même expérience que d’être spectatrice de théâtre. Il y a des jours où on regarde une pièce alors que l’on est fatiguée, où on n’a pas envie d’aller au théâtre, etc. J’en ai conclu que l’on n’est pas tout le temps dans les mêmes conditions d’écoute et ça fait partie de la réception. Par contre, j’ai essayé d’avoir vraiment une écoute très attentive, c’est-à-dire que d’habitude quand je suis une simple auditrice, j’écoute un podcast souvent en cuisinant, en faisant autre chose, puis je vais arrêter, puis reprendre voire même arrêter pendant deux jours. Ici, je me suis concentrée pour être dans une écoute active. C’est vraiment important pour moi de prêter attention à tous les sons. C’est LA différence par rapport à une écoute plus traditionnelle.

Comment procédez-vous pour opérer la sélection ? Quels sont les critères ?

Le festival ne nous a pas fourni de grille d’évaluation, nous étions invitées à nous fixer nous-mêmes nos critères de sélection. Au départ, je craignais de faire fausse route dans la confection de mon propre système de cotation car je ne viens pas du milieu de la radio. Je me suis donc renseignée auprès de l’une des organisatrices du festival pour connaître les critères qu’ils ont utilisés pour la présélection. Pour les documentaires, ils ont noté sur 10 points : qualité sonore (2 points), réalisation (4 points), thème (2 points), diversité (1 point) et coup de cœur (1 point). En fiction, ils ont fait aussi sur 10 points : musique (1 point), jeu d’acteurs (2 points), réalisation (4 points), thème (1 point), diversité (1 point) et coup de cœur (1 point). Rassurée, j’ai alors bricolé la liste des critères suivante : la narration, la dramaturgie, le rythme, la pertinence du propos, la singularité de l’esthétique sonore. Mais au fil des écoutes, j’ai réalisé que je sélectionnais aussi des projets qui m’ont complètement chamboulée et émue, où j’ai appris des choses, qui résonnaient chez moi. Au fond, comment qualifier l’émotion que peut procurer un docu-fiction sonore ? C’est complètement subjectif. Ma sélection s’est faite beaucoup plus spontanément que ce que je voulais construire au début à travers des critères objectifs. Bien sûr, il y a des critères d’évaluation mais on ne peut pas objectiver ce qui nous chamboule à ce moment-là, pourquoi cette phrase résonne si fort, etc. En tout cas, pour moi, ça me semble objectivement impossible à quantifier. La réalisation, la prise de son et le lien avec l’actualité ont beau être super, je préfère être emportée dans un ailleurs. La personnalité du juré joue énormément. Les goûts et les envies des différents jurés ont encore plus résonné au moment des discussions finales où nous avons confronté nos sélections respectives à 5. Il m’est d’ailleurs arrivé d’aller réécouter quelques podcasts que je n’avais pas retenus en voyant l’enthousiasme de certaines. Par ailleurs, il y a des structures que j’ai plus envie de soutenir car elles sont moins visibles et font un travail de très grande qualité que je trouve primordial. C’est comme cela que je me positionne.

Y a -t-il des différences entre remettre un prix SACD et remettre un prix au Brussels Podcast Festival ?

Avec Antoine Neufmars, qui encadre le comité SACD, nous sommes très vigilants à ce qu’il y ait autant de candidatures féminines que masculines. Parfois, c’est un combat quand aucun nom féminin n’est proposé dans une catégorie. C’est également important qu’il y ait des artistes issus de la diversité. Avec le Brussels Podcast Festival, à aucun moment, j’ai été cadrée vers ça. Disons que cette mission était déjà remplie en amont : 1 point était accordé dans leur présélection à la diversité et ils ont pris que des femmes comme membres du jury. Ensuite, dans le comité SACD, on est très nombreux. Forcément, les choix établis sont moins représentatifs de chaque personnalité du comité. On vote et c’est la majorité qui l’emporte.

Comment avez-vous été sollicitée pour participer au jury du BPF ?

C’est véritablement un concours de circonstances. On était 3 membres du comité SACD intéressées de participer au Brussels Podcast Festival. C’est celle qui a envoyé le plus vite un mail avec sa photo et quelques lignes de présentation qui a été retenue. Ce qui est plutôt cocasse, c’est que je suis très lente normalement. Ça m’arrive très souvent de mettre deux jours à répondre à un mail. Et là, j’étais devant mon ordi donc j’ai répondu tout de suite. J’avais déjà été membre du jury dans le contexte théâtral. J’écoute énormément de podcasts. J’adore le média radio. Comme je n’ai pas la télé, c’est par la radio et les journaux en ligne que je m’informe. Je ne connaissais personne de ce festival. C’était vraiment parce que le vecteur radio me passionne mais je n’ai aucune expertise réellement professionnelle. J’ai réalisé seulement un exercice radiophonique quand j’étais étudiante à l’INSAS – que j’avais adoré – et on a mis une de mes pièces en ondes. J’ai aussi été juré pour évaluer des jeunes à La Cambre en scénographie. C’était à chaque fois des expériences intéressantes. Je trouve que mon expertise de dramaturge est pertinente dans ce jury de podcasts car j’apporte une couleur. Même si je ne suis pas experte en radio, je peux amener une grille de lecture pertinente. Il m’a semblé que nos discussions avec les autres membres du jury étaient riches, confrontantes et suscitaient la curiosité. J’ai découvert le travail d’artistes qui m’étaient inconnu et que maintenant je vais suivre.

affiche sur fond bleu avec portraits colorés et détourés
© affiche du festival

Quelles qualités à avoir (formation, réseau, etc.) ?

La qualité première serait la curiosité, l’ouverture, être capable d’apprécier une œuvre qui nous déconcerte et qui pourtant nous apparaît comme une œuvre de qualité. C’est ce qui m’avait frappée quand j’avais été jury pour les élèves de scénographie de La Cambre, j’étais forcée de reconnaître la très grande qualité de réalisation, de proposition d’univers singulier de certaines œuvres que je n’aimais pas nécessairement. Je ne peux qu’admettre que ce n’est pas ce vers quoi j’irais en tant que metteuse en scène mais je suis capable de reconnaître la très grande qualité. Pour le son, c’est la même chose. Il y a eu, pour moi, des propositions difficiles à entendre avec beaucoup de niveaux sonores, beaucoup de choses qui s’entrecoupent et qui me font perdre le fil de la narration. Mais est-ce le plus important ? Le son me raconte-t-il quelque chose parce qu’il me perd ? Il faut donc aussi être capable de rester ouverte sur quelque chose qu’on n’attend pas. Sur les réseaux sociaux, par exemple, on a tendance à aimer ce que l’on connaît déjà et du coup on est dans une boucle fermée. Alors que ce qui est beau c’est de pouvoir rester attentive aux nouvelles créations, comment ça nous déplace, nous nourrit. Je dirais que la qualité essentielle n’est pas de « faire des études de… » mais d’être quelqu’un qui est curieux. Peu importe son parcours, qu’il ait étudié la philosophie, l’anthropologie, la langue chinoise ou l’histoire, qu’il ait fait la plomberie, etc. Ce qui compte est qu’il continue à bouger à l’intérieur, à s’enrichir. À côté de l’ouverture et de la curiosité, il y a la capacité d’analyse, de pouvoir argumenter et défendre ce qu’on aime auprès des autres. C’est un métier, une pratique de savoir en parler, d’aller toujours au-delà du « j’aime/je n’aime pas » afin d’expliquer de manière objectivable ce qui a touché les cordes sensibles.

Que retirez-vous de cette expérience ?

Comme toute expérience artistique, ce qui est beau c’est la rencontre. Pas nécessairement avec les créateurs du podcast mais parfois avec leur personnage ou les personnes dont ils font le portrait. C’est très étonnant de se sentir parfois en intimité avec des gens qu’on ne connait pas et qu’on ne connaitra sans doute jamais. C’est comme un personnage de roman où tout d’un coup on se retrouve dans les traits ou l’évocation d’un détail. Ça nous happe parce que ça parle de nous et du monde. Ça nous aide à le décrypter.

Influence-t-elle votre activité artistique ?

Cette expérience l’influence forcément parce que ça me nourrit énormément. Dans cette position de membre d’un jury, on a la chance d’avoir accès à un très large panel représentatif de la création d’ici et maintenant. On a accès aux dossiers et à un choix très hétéroclite. Ça donne une vision pointue des thématiques qui peuvent être récurrentes pour le moment. Par exemple, il y a 6 mois à la SACD on a reçu plein de dossiers consacrés au divorce. Tiens c’est bizarre, c’est ce dont les artistes ont envie de parler ! Sans surprise, en ce moment, c’est le traitement du Covid-19 sous différents angles. À côté, on trouve toujours des artistes qui portent un projet depuis 3-4 ans voire plus, en dehors de tout critère d’actualité. Ça se sent que c’est l’histoire d’une vie et que le projet est porté de longue haleine.

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