Résidences/Récits d'encre - Pierre Lorquet

Publié le  24.08.2012

Dans le cadre de Résidences/Récits d’encre, Bela a invité dix résidents de la Chartreuse, parmi lesquels Pierre Lorquet, à revenir sur leur expérience mais aussi sur l’écriture, la manière de travailler, le métier d’auteur… Pierre nous a tout dit dans sa cellule, au printemps dernier.

Sur quoi travailles-tu et quelle était ton ébauche de projet avant d’arriver ici ?

J’avais écrit une petite pièce qui s’appelait La vie rêvée des vieux, une espèce de révolte imaginaire dans un hospice pour vieillards qui tout d’un coup décident de s’enfermer, de prendre le public en otage… Enfin, au départ ça ne racontait pas vraiment ça, c’est ce qui est en train de devenir, une prise d’otage du public par un gang de vieillards un petit peu fous qui refusent tout, qui refusent ce vers quoi ils vont. Ils partent à rebours, ils se souviennent, ils font des bêtises, sont complètement immatures…  Voilà, c’est un truc un peu foutraque.

Comment écris-tu ? Seul, en silence, monacalement, hystériquement, rageusement, en boxant ?

Ici en tout cas seul, imprégné de ce lieu, du poids des murs, des fantômes qui circulent. C’est un lieu éternel qui nous renvoie à notre statut de passagers. Il y a cette espèce de durée intemporelle à notre petite échelle et dans le quel on se pose à peine, on ne fait que passer, on ne touche à rien. On n’a pas sa décoration. Je travaille dans un coin assez sombre, avec parfois le mistral qui passe au-dessus. À la fois le lieu est très présent et en même temps je me dis que ça amène une faculté d’abstraction assez grande.

C’est ta troisième résidence. Est-ce que le lieu Chartreuse s’est déjà inscrit quelque part dans un de tes textes ?

Pas nécessairement. Dans mon processus de travail, ces trois résidences ont créé un rythme, des balises. Ca me permet de mesurer mon évolution et à quel point dans l’écriture on est toujours débutant.

Je me suis servi du lieu lui-même dans une pièce que je n’ai pas écrite ici. Du cloître des morts où il y a six cents moines enterrés à même le sol, c’est quand même une image très forte et plus qu’une image. Je ne crois pas aux fantômes, je ne suis pas mystique, mais à la Chartreuse, je crois aux fantômes. Et je ne suis pas le seul, c’est un lieu où les fantômes existent et qu’ils ne quittent pas. Quand on quitte la Chartreuse, on quitte les fantômes. Mais ça marque. Dans une de mes pièces on enterre quelqu’un à la fin, dans un cloître et la dernière phrase de la pièce c’est « Il donnera des jonquilles au printemps » et effectivement dans le cloître des morts ici il y a des jonquilles au printemps. J’ai une pensée émue pour ces jonquilles nourries de ces cadavres. La Chartreuse est un lieu où la mort est très présente mais joyeuse, ludique. C’est un lieu où les fantômes sont familiers, agréables à fréquenter, et où la mort est complètement ludique. Ca ne perd pas son importance, au contraire.

La résidence permet d’avoir un temps et un espace en quantité, c’est quand même le plus grand bénéfice pour l’écrivain mais c’est aussi un temps et un espace de qualité. Le temps et l’espace sont à la base de l’écriture, beaucoup plus même que le personnage. Je crois que c’est ce qui fait qu’une pièce est réussie, c’est la base du travail, ce qui fait que c’est autre chose que de l’anecdote, c’est le temps et l’espace qu’on a condensés, avec lesquels on a fait une structure qui a fait que cette pièce a du sens, raconte quelque chose, autre que l’anecdote des faits qui s’y rapportent.

Quelle est l’image que tu gardes de ton écriture à la Chartreuse ?

J’ai le souvenir d’un weekend de solitude complète avec le mistral au-dessus de moi et d’avoir cette impression de coureur de fond, d’être concentré… Il y a une espèce d’absorption avec le monde qui défile autour et un rapport d’absorption très fort et en même temps d’ouverture. C’est une alternance de grande solitude et puis ces soirées où en général tout le monde est disponible,  sans mondanité. On parle fort et on dit des bêtises mais je trouve que les rencontres à la Chartreuse sont d’une qualité exceptionnelle. Personne ne triche, il y a une espèce d’indulgence les uns pour les autres, même si on a un intérêt un peu distrait sur le travail des autres. On se demande tout de suite comment s’est passée la journée, il y a une espèce de solidarité dont je n’ai pas connu de contre-exemple. Même des gens réputés de mauvais caractère, à la Chartreuse, ça ne se sent pas. Il y a une espèce de magie, qui peut-être vient de cette vulnérabilité dans laquelle on se plonge volontairement.

Comment représentes-tu, en image, une image à toi, le temps de l’écriture ?

Je penserais à un jeune enfant qui a cette espèce de nécessité qui habite le tout petit môme, de faire correspondre le cube et de le faire rentrer et s’obstiner à jouer. Dans l’écriture, il y a cette espèce de truc gratuit et en même temps nécessaire. C’est un peu le même ordre de nécessité qui habite le processus d’écriture que l’enfant qui a besoin pour se développer, pour comprendre le monde. Donc une espèce de bricolage enfantin et en même temps terriblement nécessaire.

Est-ce qu’un metteur en scène t’a donné des instructions ou va t’aider à écrire le texte pour lequel tu es venu ici ?

Non. Et j’aime bien qu’il en soit ainsi. Ça ne fera peut-être pas plaisir à vos commanditaires mais j’aime bien cette gratuité. Je viens ici pour un projet mais de tout ce que j’ai fait à la Chartreuse ce n’est sans doute pas ce que j’ai fait de mieux mais c’est le plus honnête. Le lieu le permet. Or, je pense que dans l’écriture, il y a nécessairement une part d’esbroufe, que ce soit de l’ordre de la séduction, du décalage, de la digression… Et ici, c’est peut-être le défaut du travail en résidence… Moi ça me pousse à ce que j’appelle l’honnêteté, d’aller vraiment, je me pose un problème, j’essaie de le résoudre, je ne triche pas, et donc je m’autorise ici à me planter. Et ça me sert par ailleurs dans d’autres travaux, de commande par exemple, où j’utilise des choses  que j’ai approchées ici et que je n’ai pas fondamentalement réussies. C’est plus formateur qu’immédiatement utilisable. Je n’aimerais pas faire une commande ici. Peut-être qu’un jour ça arrivera et je travaillerai autrement mais j’aime bien cette dimension de gratuité. De bénéficier du temps et de l’espace qui m’est offert pour vraiment me planter éventuellement – même si je ne le souhaite pas.

À part cette disponibilité, qu’est-ce que tu penses qu’une résidence apporte à un auteur ?

Ça apporte ce luxe, le temps et l’espace. Le luxe de la Chartreuse est assez austère, mais il est fait de temps et d’espace. On a son jardin, sa cuisine, on se lève en étant immédiatement disponible. On est disponible le soir pour rester jusqu’à pas d’heure avec les autres et malgré tout se lever le matin. C’est vraiment des parenthèses. Un mois de résidence, c’est cinq mois de travail chez soi. Et en même temps, c’est une épreuve. De solitude. Ce n’est pas anodin. Je sais qu’il y a des gens qui râlent parce que la Wi-Fi ne marche qu’une fois sur cinq. J’en suis très content, je n’essaie même pas d’avoir accès à Internet ici. Ca fait partie aussi du processus. Personne n’a mon numéro de téléphone, je vais voir mes mails une fois par jour et puis basta. C’est ça aussi qui fait qu’on gagne du temps. On est moins tenté de chipoter et de se laisser distraire.

Est-ce que tu as fait d’autres résidences ?

Non, j’ai déjà été accueilli dans les festivals ou à des occasions mais vraiment une résidence d’écriture de long terme, seulement ici. Je n’ai pas d’autres points de comparaison.

Tu es tenté d’en faire d’autres ?

On m’a dit que Limoges était mortel.

Il y a Rome, Berlin… Mariemont ?

Je ne me sens pas prêt pour une résidence en solitaire parce que je pense que c’est déjà assez dur comme ça et en même temps ça me nourrit. C’est agréable de rencontrer d’autres auteurs et de partager le quotidien, ses expériences, de se soutenir… Je ne suis pas mûr pour vraiment aller me mettre dans une cellule au milieu de nulle part et de ne voir personne pendant un mois. Mais un autre lieu où il y a des rencontres oui, pourquoi pas.

Quelle est pour toi l’image, le détail, le symbole qui évoque la Chartreuse ?

Il y a les fleurs au printemps. Sinon, lors de ma première résidence, j’étais resté deux mois et au milieu des deux mois ma compagne enceinte est venue me voir quelques jours avec ma première petite fille. Et en sortant de chez Coco, qui est l’ancienne mythique cuisinière dont tout le monde a dû vous parler,  j’ai dérapé dans la pente très raide qui mène au cloître et mes lunettes sont tombées, j’ai cassé mes verres. C’est quand même très difficile de travailler sans lunettes… C’était un acte manqué. Elles arrivaient le lendemain et ça m’a offert trois jours de congé le temps que mes lunettes soient refaites. Je ne me serais peut-être pas autorisé à arrêter complètement de travailler.

Moi, je vois mon bureau, c’est la première chose qui me vient : mon poste de travail. Les cellules sont tip top les mêmes, c’est la lumière à travers la petite fenêtre. C’est ce rayon de lumière, très vif, très clair, dans la noirceur. Ce contraste de lumière, une fenêtre très étroite avec une lumière très vive, très joyeuse, dans un univers très sombre…

Qu’est –ce qui t’a poussé à faire ta première demande de résidence ?

Mon ami Luc Malghem y avait été et m’avait dit qu’il fallait absolument que j’y aille. J’étais vraiment débutant dans l’écriture dramatique. On avait écrit deux romans Luc et moi, j’avais fait l’Insas avant, j’avais une formation de réalisation, j’avais très envie d’écrire pour le théâtre et j’ai eu un peu du mal à m’y mettre. Les balises de trois ans en trois ans de résidence à la Chartreuse, ça mesure le chemin accompli. J’avais pas fait grand-chose avant de venir pour la première fois, de toutes petites pièces dramatiques pour Lansman, j’avais écrit une pièce immontable et puis c’est tout. Donc les résidences ont vraiment balisé tout mon parcours d’auteur dramatique. Je suis venu pour terminer une pièce, pour arriver au bout, pour avancer dans l’écriture, pour me confronter à l’écriture dramatique. Lors de ma première résidence, Françoise Villaume, qui manque beaucoup et avait une personnalité extraordinaire – elle avait un côté institutrice : Je vais te faire grandir moi, tu vas voir ! – elle était très maternante, une mère un peu austère, elle ne me laissait pas tranquille. Elle aimait beaucoup mon projet mais pas la manière dont je m’y prenais. Elle était très interventionniste, je crois qu’elle ne faisait pas ça avec tout le monde, elle sentait peut-être que j’en avais besoin. Elle a vraiment coaché ma première résidence. Je n’ai jamais eu ça par la suite.

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