Serge Delaive

Publié le  20.10.2014

par Marie-Lorraine Weiss

Décerné pour la première fois en 1929, le prix triennal de la poésie  récompense tous les trois ans un auteur pour un recueil de poèmes. Serge Delaive, poète et romancier, est le lauréat 2014 pour son livre Art Farouche aux Éditions de La Différence. Il avait déjà été lauréat du prix Rossel en 2009. Marie-Lorraine Weiss l’a rencontré pour recueillir ses impressions.

Quel effet cela fait de recevoir un prix ?

Plaisir ! Je ne m’y attendais pas. Je ne savais même pas que j’étais sélectionné ni de quelle manière  on est sélectionné. Cela fait d’autant plus plaisir ! On m’a téléphoné ensuite pour me dire que je l’avais eu. C’est un petit peu de reconnaissance, un petit peu de sous, un plus un ça fait deux, c’est bien !

Ce prix est souvent l’antichambre du prix quinquennal de littérature de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Vous espérez l’obtenir ?

Moi, les prix ce n’est vraiment pas mon truc. Je n’aime pas l’idée de prix dans les arts. Philosophiquement je suis contre, mais je ne suis pas assez fort pour les refuser. Ce qui fait plaisir c’est que j’ai dû postuler à deux-trois prix, auxquels il faut s’inscrire seul. Je l’ai fait pour des raisons essentiellement et bassement financières. Je ne les ai pas eus. Sauf une fois, et cette année-là, j’étais triste de l’avoir obtenu. Ce fut aux dépends de Jaques Izoard. Il s’agissait du prix Marcel Thiry. Un an ou deux après, Jacques est mort. Il tenait beaucoup à l’obtenir. Je regrette toujours qu’il ne l’ait pas eu.

Par contre les autres prix que j’ai reçus, ce sont à chaque fois des prix auxquels je n’ai pas postulé. Tu te dis que comme tu n’as rien demandé, il y a probablement moins d’intrigues, de copinages puisque tu ne connais pas les gens dans les jurys. Quand j’ai reçu le prix Rossel je ne connaissais personne dans le jury. Je ne sais même pas qui était dans le prix triennal. Donc là, ça fait plaisir.

Pourquoi êtes-vous contre les prix ?

J’estime qu’en art il n’y a pas de meilleur. Il n’y a pas de plus méritant. Il y a de la subjectivité. Ce n’est pas un concours, ce n’est pas un match de foot. Donc en soi, je déteste cette idée-là. Mais tout ce qu’on me donnera je le prendrai ! Et puis c’est bon pour l’orgueil. Pour tout. Mais l’idée du prix me semble dommageable.

Quel est votre rapport au public ? À vos lecteurs ? Cherchez-vous à aller au devant d’eux ?

Moi je ne cherche rien. J’estime que quand le livre est publié le plus important est fait. En général, moins on en dit sur ce qu’on fait, mieux c’est. Plus le lecteur est vierge quand il aborde le livre et plus il peut lui-même se faire sa propre interprétation. Je ne suis pas fanatique des rencontres. D’ailleurs j’y assiste moi-même très rarement quand il s’agit d‘autres écrivains. Je préfère avoir mon rapport intime avec le livre que d’entendre l’écrivain en parler et le froisser. Maintenant quand on me le demande, je le fais. Je me dis que c’est quand même une manière d’aller à la rencontre du public. S’il y a une curiosité j’essaie d’y répondre.  Mais on ne me le demande pas très souvent.

Il y a une forme de discrétion de l’homme, alors que vous êtes une figure majeure de la poésie…

La vie de l’homme on s’en fout. Ça n’a pas d’importance. C’est quelque chose qui selon moi doit être déconnecté de l’écriture. Ce qui compte c’est ce qu’on écrit, ce n’est pas ce qu’on est. Et même, je pense que ce qu’on est peut parasiter ce qu’on écrit. Plus je suis en retrait de mes livres, mieux c’est. Maintenant, c’est mon point de vue qui n’est pas partagé, mais voilà. Je pense les choses comme ça. En même temps ça fait plaisir de temps en temps de croiser des gens qui ont lu les livres et qui ont envie d’en parler et ça se passe bien. Je suis ouvert. Je ne me ferme pas comme une huître. Je ne me cache pas complètement comme certains auteurs.

Y a-t-il une spécificité de la poésie belge selon-vous ?

C’est une question qui m’intéresse beaucoup du point de vue politique, philosophique, littéraire. Je suis arrivé à la conclusion que s’il y avait bien une spécificité belge, et aussi chez les écrivains flamands, on la trouve dans les arts et la littérature. Parce que cette identité belge que tout le monde cherche et que personne ne trouve, moi je finis par me dire qu’elle existe dans les arts. Dans les pratiques culturelles. Tant chez les flamands que chez les francophones. Pourquoi y a-t-il tant de poètes excellents en Belgique francophone ? Il y en a plein ! Plein ! Je pourrais en citer quinze ! Des vivants ! Qui sont vraiment d’excellents poètes. C’est lié à la question identitaire. Il faut que nous existions dans une langue qui porte le nom de « française », qui n’est pas la nôtre puisque nous sommes belges, et qui est complètement la nôtre puisque c’est du français que nous pratiquons, qui est très peu différent du « français de France » et « des » « Français de France ». Il y a ce rapport à la grande Histoire de la Littérature, à Victor Hugo, à Lamartine etc., qui pèse extrêmement lourd sur beaucoup d’écrivains français, de critiques et d’universitaires. Nous, écrivains belges et Belges francophones, ce qui fait notre différence, (nous sommes extrêmement différents entre nous. Tu ne vas pas trouver beaucoup de points communs entre nous si tu prends Savitzkaya, Toussain ou X ou Y, ils ne se ressemblent pas du tout) c’est que nous sommes assez légers vis-à-vis de l’histoire et de la langue. Il y a une liberté par rapport à l’histoire et au poids de l’histoire. C’est quelque chose qui devrait être étudié.

Quels sont vos projets aujourd’hui ?

En ce moment je ne peux plus écrire. À cause du travail, de la vie sociale et familiale. Pas moyen de dégager du temps. C’est une énorme frustration. Je rêve d’avoir une année pour me consacrer à l’écriture. Si je n’avais pas de projets ce ne serait pas grave, mais j’en ai, que je ne parviens pas à mettre en œuvre. Il faut à la fois avoir des moments où je suis dans le mouvement parce que c’est inspirant, que ça permet une vacuité, une ouverture d’esprit qu’on n’a pas toujours dans les tracas quotidien, puis des moments où tu es constamment derrière ton ordinateur pour avancer. Je ne peux faire ni l’un ni l’autre en ce moment. Sur le plan du travail, il y a ce qui est déjà fait, mais qui n’est pas encore paru. Outre deux livres inédits, j’aimerais travailler à la fois sur un recueil de poèmes et un roman.

En tant qu’auteur, qu’attends-tu d’une société d’auteurs ?

De l’intérêt pour les auteurs, et le paiement des droits. J’ai envie de faire partie d’une société qui soit proche des auteurs, qui s’y connaisse en littérature, d’obtenir les quelques euros auxquels j’ai droit de façon transparente. Je me posais également la question de la photographie, car je publie des photos.  Maintenant je sais qu’elles sont prises en compte aussi par la Scam.

 

Liens utiles:

>>> Serge Delaive vient de publier Meuse Fleuve Nord aux éditions Tétras Lyre.

 

>>> http://www.sergedelaive.net/

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