Au programme de la première édition du Poetik Bazar à Bruxelles : des rencontres, des lectures, des ateliers, débats et performances pour valoriser tous les artistes et toutes les artisanes qui font la vitalité et la multiplicité de la poésie belge contemporaine. Mais aussi : un salon d’éditrices et d’éditeurs, des tables sur lesquelles sont déposés des livres, et des auteurs et autrices qui les dédicacent. Parmi ces derniers et ces dernières : Ivonné Gargano, à la fois autrice et éditrice puisqu’elle autoédite ses livres qui combinent différentes techniques de création.
La podcasteuse, réalisatrice, productrice, chroniqueuse Juliette Mogenet est allée à sa rencontre afin d'en dresser son portrait.
En mélangeant illustration, écriture, reliure et céramique parfois, Ivonné Gargano joue avec les codes, les matières, les plis, les formats, les couches et les lecteur.rices pour créer des objets poétiques singuliers et ludiques. Elle questionne les liens entre fond et forme, et les triture pour les exploiter. Elle explore ainsi les possibilités multiples de faire récit via l’objet-livre et a choisi de renoncer aux circuits de l’édition et de la diffusion traditionnelles.
Un choix, vraiment ? Originaire du Vénézuela, Ivonné est installée en Belgique depuis 2011. Après avoir terminé son cursus en illustration à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (ESA), elle contacte plusieurs maisons d’édition pour que soit publié son projet de fin d’études, une exploration illustrée autour de la chaise, J’ai peur d’oublier. Elle essuie alors de nombreux refus d’éditeur.rices qui soulignent la qualité de sa proposition tout en formulant leur impossibilité à l’accueillir dans leurs collections. Elle ne rentre pas dans les cases. Ivonné décide alors d’imprimer elle-même son livre pour le faire exister et le diffuser auprès de proches et dans des réseaux de passionné.es et de créateur.rices. Elle entre alors sans le savoir dans l’univers de la micro-édition.
Arrivée dans l’autoédition suite au constat du manque d’espace pour ses projets inclassables dans l’édition traditionnelle, elle va rapidement transformer ce non-choix en opportunité. Elle décide d’utiliser tout le potentiel exploratoire que permet ce mode de production singulier : liberté de forme et de fond, maîtrise de la temporalité de la production et autogestion des circuits de diffusion. Elle se forme également à la reliure pour peaufiner ses compétences en la matière et consolider son indépendance à chaque étape du processus créatif. S’autoéditer lui permet ainsi de repousser les frontières de sa propre pratique. Elle ne se restreint pas, ne doit pas s’enfermer dans les critères classiques de l’objet-livre, elle laisse se déployer son imaginaire et le lien organique avec les matériaux qu’elle utilise, les formes qu’elle développe. Parfois, le livre prend ainsi d’autres chemins et arrive à un endroit où il n’est plus tout à fait un livre. C’est ce qui a eu lieu notamment pour son projet Théière-édition.
Outre la liberté de création qu’il permet, ce mode de production a évidemment ses revers : précarité financière, travail solitaire et chronophage. Ivonné assure elle-même toute la diffusion de ses œuvres via les libraires, les boutiques, les marchés, les salons, les lecteur.rices. Enrichissant souvent, fatigant aussi. Elle résume : « Tout faire soi-même, c’est très chouette, mais c’est aussi très difficile ! » Elle souligne également l’importance des réseaux sociaux pour diffuser et vendre ses œuvres mais aussi pour découvrir ce que font les autres et amorcer des échanges, des collaborations fructueuses.
Elle multiplie les projets, collabore avec de nombreux.ses autres artistes et s’entoure de personnes qui font un travail qui a du sens pour elle. Elle est professeure à l’Académie des Beaux-Arts (elle y donne le cours de design du livre avec Lorraine Furter), a co-fondé le Collectif KidZone avec Valentine Laffite et a fondé récemment le « Club de dessin » qui entend proposer un espace où tous.tes peuvent apprendre - ou désapprendre - à dessiner en-dehors des sentiers académiques et de leurs cadres parfois oppressants, en mettant en valeur le raté comme faisant partie du procédé.
Faire dessiner les autres et questionner le geste du dessin en lien avec celui de l’écriture fait également partie de son travail. Elle présentera ainsi au Poetik Bazar ses trois nouveaux livres : The unlearning way to learn how to draw, The Failed drawings of Da Vinci et I write, you draw dont les titres explicitent le contenu et le caractère participatif et ludique. Les lecteur.rices sont ainsi invité.es à être écrivain.es et dessinant.es, dans un processus de désacralisation de l’objet-livre mais également du mouvement de l’écriture et du dessin.