C'est du chinois pas du hongrois

Publié le  16.05.2011

Se faire son Kunst à la carte n’est pas donné, dans tous les sens du terme. « Chaque année, écrit la journaliste Catherine Makereel, le programme du festival ressemble à un concours de titres indéchiffrables ». Pour les habitués, fidèles et connaisseurs, « entre bobos du Marais et l’alternatif très berlinois[1] », la simple lecture de la liste des artistes invités est déjà une plongée dans le festival… De Jozef Wouters & Menno Vandevelde à Sven Augustijnen, en passant par C&H, Toshiki Okada/chelfitsch, Lagartijas tiradas al sol, Toshiki Okada/chelfitsch, Dominique Roodthooft, Miet Warlop, Mokhallad Rasem, Lazyblood featuring Reykjavík!, Daisuke Miura/potudo-ru, Wael Shawky… J’en passe et des meilleurs. Mais qu’à cela ne tienne, festival international oblige : il faut choisir avant que les propositions ne soient soldout, comme celles de Lupa ou la remise des prix des enfants, Children’s Choice Awards. Histoire d’y aller pas à pas, j’ai choisi un nom bien de chez nous : Édit Kaldor… (Ah, elle n’est pas de chez nous ? Moi non plus, ça tombe bien), avec un titre accrocheur : C’est du chinois.

 

Quiz. Et pourquoi C’est du chinois, c’est pas du hongrois ? Parce qu’Édit la hongroise aurait passé quelques temps à Pékin et qu’il fallait bien en revenir avec quelque chose. Peut-être l’avez-vous lu ? « En mettant en scène la langue comme pivot de sa démonstration, et, à travers elle, le témoignage de Chinois natifs, Édit Kaldor suscite un regard neuf sur le fameux Empire du Milieu, source de fantasmes pour bien des Occidentaux[2]. » Et c’est bien vrai qu’au travers des yeux d’Édit, on voit la Chine autrement. Tout habitués que nous sommes de la voir économiquement et démographiquement envahissante… :

♪♫♬ Sept cent millions de Chinois et moi, et moi, et moi. Avec ma vie, mon petit chez-moi. Mon mal de tête, mon point au foie. J’y pense et puis j’oublie. C’est la vie, c’est la vie ♫♫♪, c’était en 66. Entre temps, Dutronc a eu un petit Thomas, et chaque Chinois a eu deux fois plus de Thomas que Dutronc. Si mes calculs sont bons, on compte actuellement 1.328.020.000 Chinois, soit près d’un cinquième de la population mondiale.

Quiz. Pourquoi C’est du chinois, c’est pas du hongrois ? (2) Parce que le hongrois, « langue agglutinante, avec beaucoup de déclinaisons, intraduisible mot à mot et pas évidente à prononcer » serait bien plus difficile que le chinois et qu’on aurait été totalement largué ? Peut-être l’avez-vous lu ? « C’est du chinois, nous plonge dans l’intimité d’une culture dépouillée de ses artifices et de sa censure, prenant de cours les clichés les plus tenaces[3]. » Et c’est bien vrai que de cette terre qui délaisse le parfum du jasmin, jusqu’au mot « jasmin » effacé du Chinetokpédia[4], on n’en parlera peu, comprenez « pas ».

Assister au spectacle d’Édit Kaldor est rassurant. D’ailleurs, ce n’est pas un spectacle plutôt une forme performative interactive. Sorte d’écœurante forme artistique conviviale… Mais là, je m’égare, annonçant déjà mon prochain billet différé : Ich schau dir in die Augen, gesellschaftlicher Verblendungszusammenhang ! signé Pollesch - quand je vous disais que ce programme c’est du chinois. Le spectacle est rassurant, oui, et c’est pas faute d’avoir essayé de nous déstabiliser, nous les spectateurs-prêts-à-se-remettre-en-question-et-élargir-leur-champ-de-perspectives, en leur proposant une prestation sans traduction aucune.

Mais là, non. Dans la salle, ce soir-là, entouré des kids accrochés à leurs petits carnets critiques, tout le monde semblait s’amuser. Bon enfant, le public suivait les injonctions venues de la scène, certains ont même acheté le CD de formation continuée pour la maison, Ni Hăo, à 6,95 euros. Mais ce que vit une salle n’est pas toujours ce que visent les « professionnels de la profession ». Vous l’avez peut-être lu aussi ? « Entre frustration et ennui, il y a une limite vite franchie »[5] ou « la progression dramatique stagne et le spectacle commence à lasser »[6].

Quiz. Pourquoi C’est du chinois, c’est pas du hongrois ? Parce qu’Édit, qui a beaucoup voyagé, s’est souvent trouvée en situation d’avoir à comprendre et se faire comprendre, par des gens qui ne la comprenaient pas et inversement. Combien de fois, à ces moments-là, a-t-elle dû se dire, « c’est du chinois »… surtout quand elle était à Pékin. Mais si elle est vraiment allée à Pékin et qu’elle nous revient avec « ça »… Ce n’est pas frustration, ennui ou lassitude, c’est tout simplement un saut dans le vide.

Car finalement cette famille, si sympathique soit-elle, qui tente de se raconter à travers les clichés les plus grossiers (un Chinois boit du coca, de l’eau ou de la bière. Un chinois mange du riz ou du chocolat. Un chinois qui travaille est un chinois, un chinois qui ne travaille pas est un Hippie. Un chinois peut aimer et se disputer, faire du théâtre ou du Kung-Fu, exporter son tofu, Jacky Chang ou Bruce Lee…) ; à travers une leçon de langue des plus conventionnelles (je montre un objet, vous répétez après moi, d’une même voix comme les chinois) n’invite ni à la rencontre, ni à la remise en question, encore moins à l’élargissement de mes perspectives.

Dans le Chinatown de Bruxelles, à deux pas du Beurs qui présentait la performance, les Chinois resteront pour moi ces gens discrets qui ne font jamais parler d’eux, qui restent toujours entre eux (même pendant la fête des voisins), qui mangent du riz et du tofu et boivent de l’eau, du coca, de la bière, qui travaillent ou ne travaillent pas, et que quand ils parlent, c’est du chinois et pas du hongrois.

[1] Catherine Makereel in Le Soir du 9 mai 2011.

[2] http://www.lecarre-lescolonnes.fr .

[3] Op.cit.

[4] Arte Reportage, 02.04.11.

[5] Catherine Makereel Op.cit.

[6] Jeannine Dath sur http://madameedouarda.blogspot.com/

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