De l'inspiration comme l'un des beaux-arts

Publié le  24.02.2013

Si je n'avais pas grand-chose de personnel à dire sur les rituels - aussi ai-je préféré laisser parler les autres - je serai un peu plus prolixe concernant l'inspiration, ce grand mystère de la création, dont j'aimerais vous entretenir aujourd'hui si je puis !
Je crois qu'il est admis de tous qu'en 2012 le lac du Bourget n'exerce plus sur les écrivains son emprise magnétique, ainsi qu'il l'exerçait autrefois sur Lamartine. Foin d'un romantisme exacerbé, les sources d'inspiration des temps modernes sont d'une autre nature, les miennes en tout cas, et pas forcément liées à Dame Nature, d'ailleurs.
J'espère de tout cœur que mon exemple donnera à mes petits camarades l'envie de se lancer, eux aussi, dans l'exposé de ce qui les inspire, nature comprise si c'est le cas, sait-on jamais. En attendant leur prose, je lance la mienne, qui se résume à peu près à un « tout fait eau au moulin », que je m'en vais vous détailler plus avant de ce pas.

 

N'ayant jamais foncièrement réfléchi sur ce sujet, c'est aujourd'hui seulement que je me rends vraiment compte des diversités de mes sources ! Ainsi ai-je souvent été mue par le vécu, le mien ou celui des autres, que ce soit pour des nouvelles, de la prose ou des travaux de plus grande envergure, par des voyages, ou encore par les faits divers (à l'image d'un Emmanuel Carrère pour L'Adversaire) comme ce viol dans un parc thaïlandais, raconté par un ami néerlandais, qui a longtemps habité mon imaginaire.  Et, généralement, lorsqu'un détail, un événement, titille ledit imaginaire, je ne connais point de repos tant que je ne l'ai pas transformé en histoire ! J'oserai avouer dans la foulée une curieuse faiblesse pour les villes d'eau, que je ne m'explique pas vraiment moi-même, dont doit émaner une langueur apte à m'émouvoir. Ainsi ai-je passé un week-end à Contrexéville qui me poursuit toujours, même si je n'en ai encore rien fait de concret… depuis vingt ans. Des conversations glanées dans un tram, un train, un café, des confidences diverses et variées peuvent aussi alimenter ma machine à histoires, mon imaginaire concret, dirais-je, source ordinaire d'inspiration pour des tas d'auteurs, j'imagine, merveilleusement servie par l'avènement du gsm !

Mon imaginaire plus abstrait, quant à lui, est très facilement mis en émoi par des photos, pour peu qu'elles soient étranges, ou des tableaux, pour peu qu'ils soient mystérieux. Ainsi Delvaux, Hopper, Wyeth ont-ils toutes mes préférences, le but de l'exercice étant soit de retrouver des sensations anciennes - l'Amérique, pour les deux derniers peintres, et toute l'atmosphère qui va avec, mon état d'esprit particulier à cette époque de ma vie aussi, même si j'ai, in fine, très peu écrit sur elle - soit de titiller quelque chose de neuf, ou d'étrange, dans mon inconscient, ce que les peintures de Delvaux, entre autres, réussissent à merveille. Mais un catalogue de Christian Lacroix peut aussi très bien faire l'affaire tant son univers, son imaginaire et ses couleurs m'enchantent, et me font rêver. L'idée est d'arriver à me mettre dans un état d'altérité (ah, que ne suis-je le chantre de ces artificiels paradis qui ont su enchanter De Quincey comme Artaud), propice à un  plongeon « en soi » générateur d'images, de sensations, et d'inspiration ! Ainsi aimé-je à me poser comme au bord de moi-même, et à regarder dedans comme si tout m'était étranger… Je est un autre, n'est-il pas ?

 

La musique est aussi un facteur déclencheur des plus efficaces ! Je ne parle pas là de la musique que j'aime (Satie, le baroque, le jazz et les musiques traditionnelles), mais bien plutôt de celle que je n'aime pas ! Comme par exemple la musique contemporaine qui a, par le biais de ses dissonances/assonances, demi tons et autres modes mineurs (quand c'est le cas) l'art de me plonger dans un curieux état d'altérité, de nouveau lui, d'étrangeté, propice à faire émerger un nouveau moi désireux de nouvelles créations… C'est tout à fait particulier, et quelque peu frustrant de devoir avoir recours à un médium que l'on n'aime pas, mais force est de constater que cela fonctionne, plus sûrement dans mon cas que la béate admiration d'une mer démontée ou d'un pré joliment fleuri. 

 

Le summum de l'inspiration m'est néanmoins régulièrement offert par… l'ennui. Et quoi de plus ennuyeux qu'un long film monotone ? Car l'ennui tout seul ne génère rien dans mon cas, il faut qu'il soit accompagné, qu'il ait pour racine un autre art, et que cet art ne fonctionne pas ! Au hasard des exemples je nommerai « Son nom de Venise dans Calcutta désert », de Duras, un de mes écrivains préférés, certes, mais pas la cinéaste, autant l'avouer. Quand je la lis, mes yeux se ferment souvent pour m'évoquer des images ; quand je la regarde au cinéma, mes yeux se ferment aux images, souvent très statiques, qu'elle m'offre, pour préférer se concentrer sur ses mots… ; appelez ça de l'esprit de contradiction si vous le souhaitez, ce n'est pas impossible. En tout cas, c'est les yeux fermés devant ce film que la transubstantiation, si je puis oser, a opéré et que le film susnommé, lent, si lent, m'a inspiré en l'occurrence une curieuse histoire d'oiseau, lente si lente elle aussi, lourde et sensuelle, qui a commencé à s'écrire en moi pendant le film et que j'ai dû noter précipitamment dès mon retour chez moi ! Ne me demandez pas de quoi parle le film, je serais bien en peine de vous le résumer, je rêvais d'un oiseau reptateur…

 

Les lectures poétiques, qui sont pour moi d'un ennui  profond - j'ai fini par me l'avouer, au point que j'hésite à en infliger aux autres - sont aussi une grande occasion de vagabondage de mon esprit sans support précis, en tout cas loin de celui que l'on tente de m'imposer et qui m'ennuie. Mais il me faut ce présupposé ennuyeux - toute pièce de théâtre fera admirablement l'affaire aussi - pour que le vagabondage ait lieu. S'il est fructueux j'en tirerai au mieux une histoire, au pire une liste de courses… Ce qui est clair pour moi c'est que la lecture ne peut se passer qu'entre moi et moi, et que l'oralité suppose un intermédiaire qui, aussi talentueux soit-il, a le tort d'être là, générant donc immédiatement un désir de lui échapper et de rêver d'autre chose, ailleurs, et alors...

 

Ainsi en va-t-il de mes modes d'inspiration, probablement curieux, mais il y a fort à parier qu'il en existe de bien plus curieux encore ! Il va sans dire que ce qui fonctionne pour moi, qui affectionne l'étrangeté, ne fonctionnera pas pour un autre auteur. Ainsi j'utilise peu le fruit de mes lectures, sauf lorsque je me documente sur un sujet précis ; par contre je glane parfois des images directement tombées de mes derniers rêves… Mon père, grand scientifique devant l'éternel, ne m'a-t-il pas avoué avoir régulièrement trouvé en rêve des solutions aux problèmes de physique qui le torturaient ?

 

La méditation, que je pratique depuis de nombreuses années, est un outil précieux, elle aussi, au sens où elle permet, de nouveau, une plongée en soi, généralement fructueuse en termes d'émergence d'images ou souvenirs enfouis, permettant aussi d'établir des ponts inattendus entre des domaines, ou des objets, a priori sans rapport les uns avec les autres. Ce qu'offre souvent la méditation, ce sont de petites révélations - oserai-je faire allusion aux épiphanies si chères à Joyce - fortuites, inattendues, qui vous cueillent au milieu de n'importe quelle autre activité que l'écriture et qui, tout à coup, vous montrent la voie, ou en tout cas vous en offrent une toute neuve, apte à modeler une nouvelle inspiration, une nouvelle trajectoire, une nouvelle histoire... 

 

Voilà, chers amis lecteurs, le fruit de mes réflexions sur l'inspiration. N'hésitez pas en retour à me confier les vôtres ! Je ne doute pas qu'elles m'inspireront aussi…

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