Jeanne et Gilles et Guy et Tom (mon Avignon 2011 – jour 9)
Au fur et à mesure que passent les jours et que l'issue du 65è Festival d'Avignon approche, je me dis qu'il aura surtout été marqué par le geste inaugural de Vincent Macaigne. Aucun autre invité du Festival n'aura à mes yeux su faire preuve d'autant d'engagement dans son travail et de communicativité dans son énergie. Je suis dès lors surpris de constater l'engouement massif pour le théâtre technologique de Guy Cassiers. Public de la cour d'honneur très enthousiaste ; critique élogieuse. Pour ma part, j'avoue avoir piqué du nez une cinquantaine de fois durant la représentation de « Bloed en rozen » (« Sang et roses »).
Et pourtant les figures de Jeanne d'Arc et Gilles de Rais sont fortes et passionnantes, emblèmes l'un et l'autre de résistance au pouvoir. Et le texte de Tom Lanoye n'est pas sans intérêt, particulièrement dans le traitement ambigu de Gilles et de son irrésistible attirance pour le crime. Et les acteurs sont tous très bons, fins et nobles dans leurs costumes malins (des mains postiches y sont ajoutées, posées sur le vêtement, de sorte que chaque personnage semble à la fois toujours transporter son image officielle et permanente en même temps que son corps dans l'instant). Et les chants polyphoniques du Collegium Vocal de Gand sont d'une beauté en total accord avec la magie du lieu.
Mais l'omniprésence de l'écran géant métallique sur le mur de la cour, le mode de jeu qui instaure le chuchotement amplifié comme la norme, les caméras latérales qui poussent les corps sur scène à nous tourner le dos, tout cela participe à nous éloigner de ce qui se joue, à nous en couper. Très rapidement, on ne regarde plus que l'écran et les surtitres. Très rapidement, on a le sentiment d'être venu lire un roman sur écran.
Plus tôt dans le festival, dans des styles très différents, la performance de Romeo Castellucci ou le concert de Daho et Moreau m'ont paru interroger notre rapport à la justice et à la religion (puisqu'à travers les procès de Jeanne d'Arc et Gilles de Rais, c'est de cela dont il est question ici) de façon nettement plus subtile, perturbante, surprenante. À moins qu'elles ne soient radicales (comme celle de Daisuke Miura au dernier Kunstenfestivaldesarts par exemple), les propositions dramaturgiques qui refusent de se déployer à partir du plateau, qui refusent de considérer la salle et nous laissent sur le carreau, me convainquent de moins en moins.
L'an dernier, le travail de Cassiers à partir de l'œuvre romanesque de Musil (« L'Homme sans qualité 1 ») m'avait semblé infiniment plus stimulant, multipliant les niveaux de lecture, utilisant la vidéo comme un outil d'adaptation inventif et ludique pour jouer alternativement du narratif et du dramatique et offrir un rôle actif au spectateur. Ici, l'écran semble devenu une fin. Ne manque finalement que le pop-corn.
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« Bloed & Rozen. Het lied van Jeanne en Gilles » de Tom Lanoye, mis en scène par Guy Cassiers, Cour d'honneur du Palais des papes jusqu'au 26 juillet.