Joli travail

Publié le  25.02.2013

C'est comme ça… Le travail, c'est du joli. Du joli… Oui : le travail est attirant, agréable à considérer, il suscite un certain plaisir. Non, non. N'y voyez aucune ironie, vous qui lisez ces lignes. Le travail, c'est vraiment du joli. Et quand je dis joli, je le dis en soupesant le sens de cet adjectif. Car au fond, à y bien réfléchir, dans la société actuelle, c'est bien parce qu'on « travaille » qu'il est possible de « travailler » ; c'est pas plus compliqué que ça. Tiens ! Je vois votre sourcil se hérisser, un poil perplexe. Bon… je le concède : l'affaire est moins facile qu'il n'y paraît. Tiens ! Toujours aussi perplexe ? C'est donc le « travail » qui vous chipote ? Bien sûr : le « travail » et le « travail » ; c'est normal, et c'est vrai que c'est complexe. Bref.

Voici venu le temps qu'il faut que je m'explique. Je crois fermement, dur comme fer, inébranlablement, sans qu'il soit possible d'envisager même de me faire changer d'avis, que l'obligation que (presque) tout écrivain a de « travailler » (à supposer évidemment qu'il veuille manger, boire, se vêtir, se loger, etc.) le situe ipso facto au cœur du monde réel de notre époque : c'est-à-dire dans une position idéale pour observer les relations essentielles entre les hommes et y tenir un rôle. Par monde « réel », j'entends cet espace du monde où se jouent et se nouent les questions les plus aiguës, celles qui déterminent l'esthétique et la signification de notre environnement socio-culturo-économico-intellectuello-politique. Et cet espace est bien celui de la petite-bourgeoisie, celle qui est aux commandes depuis une bonne poignée de décennies et qui est responsable de la magnifique (là, je suis ironique) 'Weltanschauung' (hé hé) qui est la nôtre. On en pense ce qu'on voudra, en attendant cette 'Weltanschauung' de pacotille est là et bien là, elle qui ordonne le monde et structure temps et espace à sa façon petite-bourgeoise. Sans concession. Or, essayer de comprendre le monde, se mettre en tout cas dans une position qui puisse permettre de le faire, est selon moi une condition nécessaire pour ne pas produire des lettres à deux balles.

Évidemment, et cela est cruel, se mettre dans cette position ne garantit guère la qualité. On peut toujours y rêver, mais soyons lucides : pour la qualité, au fond : pas de recette miracle. Juste l'idée que pour rater sa littérature et produire à coup sûr du « grand » n'importe quoi, il suffit donc de tourner le dos aux petits-bourgeois, de refuser de voir en face, dans le blanc de l'œil, le joli monde du travail, de détester suer sang et eau et d'imaginer qu'il suffit… qu'il suffit de n'avoir pour envie que celle d'écrire, que celle d'être inspiré, sans plus. Dos au monde, dans les marges, que ce soient des marges de crève-la-faim ou des marges de plumitif luxueusement entretenu. Le travail de l'écrivain, ça se travaille : il est lié, qu'on le veuille ou non, au travail d'aujourd'hui. Sinon, rien à dire de pointu sur le monde - que des stéréotypes (lesquels, hélas, n'excluent nullement le succès…).

Aussi, c'est avec une émotion non feinte que je dis et répète, à cette heure où je n'espère désormais plus aucun téléphonage de débonnaire Mécène, où je contemple sur l'écran noir de mon cellulaire mes linéaments de travailleur au carré, qu'il est bien joli de travailler pour me permettre de travailler.

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