Leçon de l'hiver
Les réactions excédées de certains voyageurs confrontés aux dysfonctionnements qu'ont connus les transports en ce rude hiver sont représentatives d'un dérèglement profond de l'esprit humain. Ils me font en effet penser à cette phrase de Beckett dans En attendant Godot : « Voilà l'homme tout entier, s'en prenant à sa chaussure alors que c'est son pied le coupable. » Car voici donc une époque, la nôtre, où l'on préfère s'en prendre à la compagnie ferroviaire, à l'administration locale, aux autorités aéroportuaires, plutôt que de se résoudre à accepter les limites humaines. Car voici donc l'homme contemporain, habitué à vivre si éloigné de son essence et de sa réalité physiques qu'il les oublie et finit par confondre son confort et son cadre social avec la vérité première. « Ne pas revenir à l'âge des cavernes », entend-on souvent dans la bouche des anti-écologistes primaires, si angoissés à l'idée d'une décroissance. Mais pour éviter que ce ne soit le ciel qui ne nous l'ordonne en nous tombant sur la tête, il serait peut-être temps de redescendre sur terre et de réapprendre les lois élémentaires de notre inscription dans l'univers. Des circonstances climatiques extrêmes devraient nous inviter à perdre l'assurance de nos modes de vie et à redéfinir nos priorités. Alors qu'alentour tout est bloqué par la neige, est-on vraiment obligé de circuler ? La société ne peut-elle pas provisoirement tourner au ralenti, se mettre en veilleuse ? Cette sagesse, que certainement avaient nos lointains ancêtres des cavernes, s'est totalement effacée dans l'aveuglement avec lequel nous faisons usage des services que la société met à notre disposition. Et à cette cadence infernale dans laquelle nous croyons être tenus de vivre et qui pèse sur nous aussi lourdement qu'un joug fatal, nul aujourd'hui ne se rend-il plus compte que chacun pourrait y mettre un frein s'il le désirait vraiment, en tentant de vivre autrement. En ce sens, l'échec politique du sommet de Copenhague devrait jouer un rôle de moteur dans le processus de réappropriation individuelle par tout citoyen d'un enjeu planétaire. Chaque jour appartient à celui qui le vit, chaque heure est ce que l'on veut en faire. Le pire des travers de la démocratie, ne serait-ce pas d'avoir à ce point délégué la responsabilité à d'autres que quiconque en serait devenu incapable de saisir la sienne ?