Lire/Écrire
Le travail d'écriture, je ne peux l'imaginer sans un travail parallèle de lecture. Lire, c'est déjà écrire. Écrire, c'est continuer à lire. En ce qui me concerne, en tout cas, jamais je n'aurais imaginé projeter d'écrire, 'pouvoir écrire' même sans la lecture. Il y a dans la lecture toute une mise en appétit, toute une mise en scène de ce que sera mon travail sur le texte en devenir.
'Mise en appétit' : parce qu'écrire est une réponse à une sensation de besoin, dont on peut dire que, plus elle est grande, mieux on cherchera à y répondre - et lire, ça creuse.
'Mise en scène' : parce que le livre que je suis en train de lire est la représentation achevée de ce que je m'efforce de mettre péniblement en œuvre. Et comme l'écriture, la lecture doit être systématique. Car le travail implique le système : règles, rituels, ordre, plan. On n'écrit pas sans projet en alignant des mots au hasard ; de la même façon, on ne lit pas sans une sorte de discipline qui contraint le lecteur à faire œuvre de son temps de lecture.
Le travail de lecture obéit à un programme, trace des perspectives, ouvre des horizons, qui seront peut-être ceux qu'investira le travail d'écriture. La lecture met des formes dans ce qui serait autrement un magma. C'est du moins ainsi que je conçois les rapports entre écriture et lecture, lesquels n'excluent pas, que du contraire, le plaisir. Ainsi, pendant un très long temps, nous nous fixions chaque année, mon meilleur ami et moi (et il faut que ce soit le meilleur ami pour que ça marche), un programme terriblement systématique de lectures : dix romans de cinq cents pages minimum, d'époques et de cultures différentes, que nous nous administrions à raison d'une double tranche hebdomadaire : cinquante pages de l'un et cinquante pages d'un autre, avec une tournante semaine après semaine, de manière à ce que, à la fin du mois, un dixième de chaque opus ait été lu. En dix mois, c'étaient dix pavés que nous avions lus. L'excitation et le plaisir, en dépit d'un certain stress, étaient étonnamment au rendez-vous. Or, cette façon de 'travailler à lire' m'a toujours servi de modèle pour 'travailler à écrire'. Sauf que… je ne m'y suis jamais vraiment attelé… à écrire… et que, chaque fois que je me mets à ma table (c'est une métonymie : je n'ai pas de table réservée à l'écrire, j'écris n'importe où se pose mon portable ou mon cahier), je me dis que j'aurais dû… ah ! que j'aurais dû l'avoir fait davantage mais qu'à partir de demain, promis/juré, comme ces livres que je continue à chasser même si le système a changé (la tournante décrite ci-dessus a fait long feu, hélas) et qui tombent dans mon escarcelle à un bon rythme, à partir de demain donc, je me mets 'vraiment' à travailler - à écrire. Et pour éviter de sombrer dans une sorte de dépression innommable, j'ajoute vite en post-scriptum, dans ces pensées que je m'adresse à moi-même, que d'avoir été velléitaire pendant des années n'exclut pas qu'on devienne un vieux stakhanoviste.
Allez !