Pieds nus
Il n'est pas rare que l'on nous demande, à nous les écrivains, quel est notre outil de travail. Pour ma part, j'ai souvent envie de répondre que j'écris avec les pieds…
2- Pieds nus
Les endroits sont assez rares, finalement, où l'on peut marcher pieds nus. La maison, l'herbe, le bord de la piscine, la plage… Est-ce que j'en oublie ? Ce sont des endroits de détente et de liberté dans la mise. Est-ce cette liberté que je cherche et que je chéris quand j'écris ? Ligne après ligne, pas après pas, quand le rythme épouse le souffle, quand la souplesse gaine les muscles et l'esprit, quand la marche devient fluide, et fluide aussi la petite musique cliquetante des touches du clavier, sans doute y a-t-il du soleil ces jours-là. Tout peut arriver, même devoir rebrousser chemin, même effacer trois lignes ou dix pages, même se tromper de chemin, s'engager dans une impasse, qu'importe, le pied s'arrondit sur le caillou et supporte sans plainte la brûlure du sable, la phrase contourne l'obstacle, la phrase danse, comme ce corps qui pèse à peine sur le gravier, et voilà, le petit miracle advient : les mots se font si doux, si caressants que la marche vers un texte imprévu pourrait bien, ô illusion, ne jamais s'arrêter, sauf quand viendra l'heure de la fatigue. Que se passe-t-il donc : rien qu'un jour de grâce ? Rien qu'un jour où le rythme intérieur est seul à donner le tempo, un jour de vraie vie en somme, où les mots intimidés par tant de candeur et de légèreté n'osent même plus se dérober ?