Rentrée littéraire 2021 : rencontre avec Sophie d'Aubreby

Publié le  03.09.2021

Youpie, 521 romans seront en compétition en cette rentrée littéraire 2021 ! Bien qu'ils restent un pari risqué pour les éditeurs & éditrices, les premiers romans sont devenus un véritable phénomène éditorial et occupent une place de choix à chaque rentrée. Cette année, 75 premiers romans bénéficient d'un coup de projecteur enviable qui relève le plus souvent d'une stratégie marketing bien rodée.

Une occasion pour Bela de se pencher sur le processus d’« entrée en littérature » et de s’intéresser au parcours de la primo-romancière belge Sophie d'Aubreby et à sa relation avec sa maison d'édition. Elle vient de sortir S'en aller aux éditions Inculte. Hymne à l'amitié, ce récit d'une émancipation féminine au cours du XXe siècle montre subtilement comment les luttes des femmes d'aujourd'hui font écho à celles de leurs aînées à travers l'Histoire. 

© couverture du roman "S'en aller"

D’où vous est venu le thème du roman et sa structure ?

Le thème de l’émancipation d’une femme me travaillait depuis longtemps, influencée par ma mythologie personnelle et familiale, et certains événements historiques qui m’intéressaient. L’affaire de viol dont il est question à la fin est un fait réel, qui a fait date, et auquel j’avais envie de donner une place dans l’histoire. J’avais en tête les 4 grands épisodes qui composent le roman, mais j’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à la structure pour qu’ils se répondent entre eux. J’ai fait de nombreux plans. Je ne les ai pas forcément respectés, mais c’était une première étape qui me rassurait : remplir une feuille pour avoir une vision d’ensemble de là où je voulais arriver. Par la suite, je me suis accordé plus de libertés.

 

Vous êtes-vous documentée sur certains aspects du roman ?

Il y a eu une longue période de documentation, en 2018, qui a duré presqu’une année. Pour ce faire, j’ai beaucoup sollicité les musées, jusqu’à être mise en contact avec les chercheurs et chercheuses spécialisé·es sur les sujets et endroits que je souhaitais aborder. J’ai eu la grande chance de bénéficier des savoirs d’une chercheuse qui travaille pour Navigo, le Musée national de la pêche à Coxyde, qui m’a abreuvée de photos. J’ai d’ailleurs globalement travaillé avec beaucoup de supports visuels. À défaut d’avoir connu cette époque-là, cela me permettait de mieux me représenter ce que cela pouvait être. J’ai eu aussi la grande chance de rencontrer la responsable de la collection « Océanie/Indonésie » du Musée Art et Histoire au Cinquantenaire à Bruxelles. Elle m’a beaucoup soutenue dans mes recherches, m’a aidée à retrouver des références. Ce fut pareil pour la guerre, j’ai passé énormément de temps dans les archives du Centre d’études Guerre et Société à Anderlecht. Ce fut une période humainement assez riche. Rétrospectivement, ces recherches ont davantage servi à me rassurer qu’à nourrir mon livre. On ne peut pas dire que j’ai écrit un roman historique, je suis plutôt passée d’une phase d’alimentation historique à une phase d’écriture en gageant que cela m’aiderait à ancrer l’histoire dans son contexte.

 

Comment avez-vous construit votre style d’écriture ?

Si je devais résumer l’histoire du roman en un mot, ce serait « mouvement ». Dès lors, la question du geste et du corps s’est imposée. Au-delà de ça, j’aurais beaucoup de mal à théoriser le style d’écriture de ce roman ou à le définir. Je crois que j’ai écrit ce dont j’étais capable. Car la période d’écriture a été tellement pétrie d’incertitude que j’essayais avant tout de me sentir la plus juste possible dans ce que je faisais tout en étant jamais vraiment sûre. Au fond, le doute était un moteur intéressant de retravail parce que, quand on est sûre de rien, on n’est pas satisfait de grand-chose. Il y a d’abord eu un premier jet qui était ma matière brute, définissant le contenu. Elle n’a plus beaucoup évolué par la suite. Ensuite, il y a eu une deuxième vague de travail qui était focalisé sur la forme. J’ai par exemple prêté beaucoup d’attention à la rythmique, pour garder le lecteur et la lectrice dans l’histoire par ce biais-là.

 

Quand avez-vous estimé que c’était le bon moment pour publier votre premier roman ?

Quand je suis arrivée au bout de ce que je pouvais fournir, tant parce que je n’avais plus suffisamment de recul sur mon texte que parce que j’avais besoin d’être rassurée. Au moment de l’envoi, je savais qu’il me manquait 10 à 20 % de travail avant d’avoir une version aboutie. J’avais besoin d’un regard extérieur et distancié, qui pointerait les parties qu’il fallait encore travailler.

Comment s’est passée la recherche d’éditeurs ?

J’avais une liste de maisons dont j’aimais la ligne éditoriale en tant que lectrice, auxquelles je comptais envoyer mon travail. Il y en avait 6 ou 7, Inculte en tête. En 2020, au moment du lockdown, j’ai contacté Inculte en demandant si, compte-tenu du contexte, ils prenaient encore des manuscrits. Je ne connaissais pas l’intégralité de leur catalogue, mais je savais ce qu’ils faisaient parce que j’avais beaucoup aimé certains de leurs livres. Je connaissais aussi l’histoire et un morceau de la culture de cette maison. J’étais sensible au fait qu’elle soit l’émanation d’un collectif d’auteurs et d’autrices. J’avais Inculte en tête dès le début de mon travail, j’ai eu beaucoup de chance que les choses s’alignent en ce sens. Quand j’ai senti que ce texte était bon pour être pris en main par quelqu’un d’autre, j’ai contacté Mathieu Larnaudie, qui était éditeur associé là-bas. C’était en mars 2020. Une drôle de temporalité, car je sentais qu’il était temps de soumettre mon travail, et on entrait en lockdown, un immense chaos général s’installait. Les incertitudes n’étaient plus seulement les miennes, elles étaient générales. Je l’ai contacté en lui demandant si ça valait la peine d’envoyer quelque chose, et il m’a répondu qu’il pourrait au minimum me dire ce qu’il en pensait, mais qu’il ne pouvait pas s’engager davantage. Tout le monde parlait d’une crise lourde qui allait s’abattre sur tous les secteurs, filière du livre comprise.

 

Avez-vous dû apporter beaucoup de changements à votre manuscrit ?

Quelques mois après l’envoi du texte, Mathieu Larnaudie m’a répondu en me donnant quelques axes de modification. Ils étaient peu nombreux et m’ont directement paru justes. Sans être sûre que mon roman figurerait au catalogue d’Inculte, j’ai su que ce serait un travail utile que de suivre ses remarques. J’ai eu la chance de tomber sur quelqu’un avec qui on arrivait à échanger de manière juste.

 

Dans quelle mesure avez-vous pu contribuer au projet éditorial dans son ensemble (élaboration de la couverture, plan de diffusion/distribution, relations presse, etc.) ?

J’ai l’impression d’avoir été intégrée à chaque étape. La phase de correction fut pour moi la plus intéressante. C’était rassurant qu’une correctrice, incarnant la norme en termes d’orthographe et de construction de phrase, relise l’intégralité de mon travail avec moi. C’est véritablement un travail collectif : sans le regard de mon éditeur, l’objet fini aurait été différent. Sans le regard acéré d’Aurélie Carpentier aussi. J’ai également été associée au travail graphique de la couverture, qui donne un premier visage au roman. Je n’ai pas assisté aux réunions avec les représentant·es car elles se sont déroulées sur Zoom. Comme Inculte est une filiale d’Actes Sud, par la suite, il y a eu une présentation à Arles aux libraires. C’était nouveau et intéressant de se retrouver dans une salle et de pouvoir parler de mon roman avec quelqu’un qui l’avait lu.

 

Comment vous êtes-vous préparée à la promotion du livre ?

J’essaye de suivre scrupuleusement le conseil de la maison : ne rien préparer et être spontanée. C’est comme ça que j’ai abordé la présentation à Arles, qui était intimidante parce qu’une cinquantaine de libraires y assistaient. C’était la première fois que j’étais confrontée à ce type d’événement, moi qui étais jusqu’ici strictement lectrice.

 

Qu’est-ce qui est prévu pour rencontrer vos lecteurs et lectrices ?

On a organisé le lancement après la sortie du livre prévue le 18 août, car on avait peur que les gens soient en vacances. Il y aura une rencontre le 9 septembre aux Yeux Gourmands à Saint-Gilles : une courte présentation, un verre et des signatures. La librairie Descours m’a proposé de venir présenter le roman à Lyon, ce sera la première fois que je rencontrerai lecteurs et lectrices. Pour l’instant, il est encore tout frais et tout juste acheté par ceux et celles qui sont au courant que je sortais un bouquin. Jusque novembre, j’ai 1 à 2 petites rencontres par mois, essentiellement en France.

© couverture de la nouvelle "Déplier les jambes"

Avez-vous suivi les mêmes étapes pour la publication de votre nouvelle Déplier les jambes sortie en librairie en mars 2020 ?

J’ai écrit la nouvelle alors que le travail autour du roman était encore en cours. Je l’ai écrite en très peu de temps et, une fois finie, je savais que le texte ne bougerait plus. Je savais que Lamiroy publiait des nouvelles d’auteurs et d’autrices belges, et la leur ai envoyée pour cette raison. Je crois leur avoir envoyé un mail le jeudi soir et le lendemain ou le surlendemain on me répondait que mon texte serait publié. Le travail éditorial fut différent de chez Inculte : Lamiroy est une petite structure qui publie énormément de nouvelles. Pour autant, cela s’est bien passé, ils m’ont proposé de la sortir pour le 8 mars, et je n’aurais pas pu rêver mieux. Ils m’ont fait une place auprès d’eux pendant la Foire du livre 2020, ce fut mes premiers petits pas dans le milieu littéraire.

 

Avez-vous déjà un deuxième roman sur le feu ?

J’ai plusieurs textes en cours, mais au stade de bribes. Mais l’un d’entre eux est un peu plus commencé que les autres. Toujours un roman, et toujours sur la question de comment sortir des injonctions sociétales (comme d’une certaine manière Déplier les jambes et S’en aller). Je ne saurais pas dire si cette thématique traversera tous mes travaux à venir, mais pour l’instant c’est un sujet qui me porte. J’ai beaucoup lu là-dessus, j’ai étudié ça à l’ULB. La question du genre et des sciences sociales, ce sont des lunettes sur le monde qui m’aident à y voir clair et je crois que je les garde quand j’écris, comme partout ailleurs. Le féminisme est quelque chose qui m’importe, qui m’apporte. Pour l’instant, il y a toujours un objectif dans mes textes, c’est un moteur qui m’aide à écrire.

 

Quels conseils donneriez-vous à nos lecteurs et lectrices rêvant de passer le cap de la publication ?

Je dirais qu’on peut s’épargner du temps et de l’énergie en commençant par les maisons d’édition qui nous tiennent particulièrement à cœur et attendre qu’elles réagissent. Je pense que tant pour l’auteur ou l’autrice que pour l’éditeur ou l’éditrice qui recevra le manuscrit, c’est intéressant de l’envoyer en y croyant et en sachant pourquoi on envoie à cette maison et pas à une autre. C’est beaucoup d’attente d’envoyer aux maisons d’édition, ça coute en termes d’énergie, de courage, de plein de choses. Pour toutes ces raisons, je crois que c’est bien d’être sûre de à qui et où on envoie.

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