Nous avons donné la parole à Alexander Vantournhout, chorégraphe et circographe, qui exprime son ressenti durant cette période de confinement et de crise sanitaire.
L’autre jour, alors que je rentre chez moi après quelques courses, je ressens une forme d’inconfort. Le sentiment d’être oppressé m’envahit. Je presse le pas sans pouvoir mettre le doigt sur la nature de ma nouvelle angoisse. C’est seulement alors que j’enlève mon pantalon trop serré aux cuisses pour enfiler un jogging que je me relâche et que je retrouve une sensation de liberté.
J’imagine tous ces genoux et ces hanches libres d’injonctions vestimentaires. Ces dos qui, peut-être, se sont débarrassés de la bande élastique qui les enserre. Je veux parler des soutiens-gorges et des brassières des femmes. Jour après jour, enfin, des respirations sans restriction.
Je pense aux corps de ceux qui, désormais à l’abri des jugements, trouvent chez eux l’espace de se déployer à leur aise. On peut lever les bras au-dessus de la tête sans être arrêtés par sa veste ou redouter la tache humide de sueur sous les aisselles. On peut s’asseoir les jambes grandes ouvertes, enfin, et se sentir ancrés dans son corps.
Je me demande si cette expérience commune du confinement va changer la mode. Après avoir vécu dans nos corps cette nouvelle liberté de mouvement, allons-nous remettre nos montres lourdes, nos boucles d’oreilles, nos chemises qui étranglent, nos chaussures qui compressent les orteils, nos pantalons qui serrent les testicules ?
Ce temps suspendu est aussi propice à la documentation. La notion de « Handicap Signalling » retient mon attention. C’est une théorie d’Amotz Zahavi selon laquelle certains animaux ont des caractéristiques comportementales ou morphologiques qui leur offrent un statut individuel avantageux, au détriment de leur santé ou leur développement physique. Par exemple, la queue du paon qui les gêne pour s’envoler mais qui leur permet de séduire. Ou encore la crinière noire du lion qui attire les femelles mais aussi le soleil qui leur chauffe la tête.
L’exemple que j’aime le plus est celui des vautours. Les femelles sont attirées par la tête, le coup et la poitrine rouges des mâles. Cette couleur vient de leur nutrition. Ils doivent pour cela assimiler de la caroténoïde qu'ils trouvent dans les excréments. Bien que cette nourriture soit toxique pour les vautours, ils continuent d’en manger pour être plus rouges. Ce qu’ils semblent dire c’est : « Je suis capable de vivre ou plutôt mes gènes sont capables de vivre, même avec cette haute dose de poison toxique dans le corps » (Robert Sapolsky).
À la lumière de cette réflexion, je me dis que l’humanité offre beaucoup d’exemples. Les corsets imposés aux femmes il y a un siècle sont peut-être particulièrement choquants. Mais, aujourd’hui, les femmes ne portent-elles pas toujours des talons d’une dizaine de centimètres ? Leurs pas ne sont-ils pas toujours entravés par des jupes étroites ? Ne sommes-nous pas habitués à manger avec des ceintures autour de la taille ?
Après le Corona — ou plutôt après le confinement car le Coronavirus sera toujours bien là – s’apercevra-t-on que nos collègues sont plus petits que dans nos souvenirs ? Les hommes moins larges d’épaules ? Les femmes avec les seins plus bas ou plus petits ? Ce ne sera alors pas à incomber à un manque d’exercice, mais à l’abandon des artifices inconfortables de nos tenues. Je rêve d’un monde où Beyoncé pourrait danser pieds nus sur scène.