Nous avons donné la parole à Olivier Deprez, auteur de bande dessinée et graveur sur bois, qui décrit la pratique professionnelle des artistes durant le confinement et défend sa vision pour le futur.
La pandémie a remis en question la routine du travail que tous les artistes connaissent : résidences, expositions, événements divers. Tout ce qui permettait de vivre n'est plus possible. Cela signifie tout simplement que gagner sa vie (et la perdre aussi bien) est devenu plus difficile. Le télétravail est la nouvelle norme. La visioconférence et l'autopromotion par le biais des réseaux sociaux sont désormais notre lot. Bien sûr, une partie du travail n'a pas changé. Graver, dessiner, écrire, peindre, tout cela peut se faire à l'atelier. Pour certains, c'est le cas d'un de mes amis écrivains, la pandémie n'a guère modifié le quotidien si ce n'est que l'on ne peut plus se retrouver ensemble pour échanger des idées. Par ailleurs qui n'est pas encore au courant que la pandémie n'est qu'une vague parmi d'autres tout aussi effrayantes ? Récession et changement climatique sonnent à la porte. Pour une partie du monde cela a lieu aujourd'hui. Où sommes-nous ? Que faire ?
Certains tenteront une réponse individuelle. J'appartiens plutôt au groupe de celles et ceux qui optent pour une réponse collective. Mon expérience artistique passe par le collectif. Frémok, Knockoutsider, Blackbookblack, WREK, IMAGES, la revue Formules, le groupe Crise et critique, la revue HOLZ et Multiple de trois sont les noms des différents collectifs auxquels j'ai participé et continue de participer. Je ne prétends pas que le collectif est la solution. Il s'agit de tout autre chose. Il s'agit de dire que le collectif est une réponse humaine à l'inhumanité de ce qui nous détruit. Créer du lien, être et faire ensemble les choses. Partager les idées, les doutes, les peurs et tout ce qui entre dans la fabrique de la chose artistique. De plus, l'approche collective, par la multiplicité des situations créées, facilite le fait de s'arranger avec le monde de la valeur et du travail. Le critiquer aussi. Ne pas faire du travail une catégorie positive : le travail ne nous émancipe pas, tout au plus est-on comme le hamster qui fait tourner la roue dans laquelle il se trouve (notons que la roue est ouverte, rien à voir avec la cage de fer de Weber). Aussitôt un contrat signé, aussitôt une œuvre vendue, l'argent gagné est dépensé, pour vivre il faut trouver d'autres contrats, d'autres acheteurs. Sans fin la même nécessité. Et malgré tout, IL NE FAUT PAS ÊTRE À TOUT PRIX UN TRAVAILLEUR DE L'ART. Il faut reconnaître la négativité du travail. WREK NOT WORK. Le travail est tellement naturalisé, l'être humain a toujours travaillé, que l'on ne perçoit pas son caractère destructeur, totalitaire et arbitraire. Dans le monde de la valeur, le travail est la seule médiation sociale. Pire encore, exclu du travail, on reste inclus dans les contraintes délirantes de son monde. C'est collectivement, artistes et non-artistes que l'on inventera d'autres médiations sociales qui ne soient pas destructrices, totalitaires et arbitraires, mais socialement et humainement utiles, nécessaires, joyeuses et même futiles.