Anne-Cécile Vandalem, à contrejour

Publié le  18.06.2015

par Maud Joiret dans le cadre du partenariat de BELA avec Grand Angle, le Salon d’artistes belges francophones des arts de la scène – Théâtre des Doms, Avignon, 16 & 17 juillet 2015.

 

Anne-Cécile Vandalem, à contrejour

 

Bureaux du Varia, troisième étage. C’est là que Das Fräulein (Kompanie) a son bureau. Et la compagnie, c’est Anne-Cécile Vandalem. À contrejour dans la salle de réunion, entretien avec l’autrice, actrice, metteure en scène et conceptrice de spectacles et d’installations.

Anne-Cécile Vandalem à contrejour, c’est une présence. On pense à ses créations, on la revoit dans Hansel et Gretel, dans (Self) Service. On se demande même si elle a réglé la lumière dans cet espace clos – elle qui du temps qui nous habite et de celui que nous traversons investit les soubassements et les boîtes à surprises, les sas, les vitrines et les isoloirs. Bien sûr, on sait qu’elle a fait des études de comédienne au Conservatoire de Liège. On ne sait pas forcément qu’elle a aussi arpenté les classes de danse. Alors, on se laisse porter par l’échange, parce que la salle de réunion baigne dans une grande et agréable écoute, à cause de la lumière, à cause des corps assis dedans et à cause de la voix d’Anne-Cécile.

 

Cette voix est celle d’une grande raconteuse d’histoires. Petite, elle élabore des pièces radiophoniques qu’elle enregistre sur cassettes. À l’école, elle organise des playbacks. Sérieusement.  À cette occasion, elle fait d’ailleurs ouvrir les portes de l’école le dimanche pour répéter. Elle réitère quand arrivent enfin les décors – venus tout droit de l’opéra. Naturellement. L’été et pendant les vacances scolaires, elle file à Paris faire des stages de jeu. Elle rêve à l’époque d’entrer au cours Florent. Et finalement, est très heureuse de ne pas l’avoir fait. Anne-Cécile Vandalem a aussi voulu devenir la première femme curé. Accessoirement.

À ce moment-là, adolescente, elle pense plutôt au cinéma. Elle ne découvre le théâtre qu’à seize ans, avec l’école. Alors, ses influences, c’est Haneke – qui lui fait du bien. Elle aime surtout ses interviews : dès qu’elle l’entend parler, il la réconforte. Ses films ne la dépriment pas du tout, elle aime son rapport au bonheur, à la beauté – au fait de ne pas la montrer, mais de la susciter. Bertrand Blier, Lars Von Trier, Lynch complètent le palmarès de ses coups de foudre cinématographiques. Où il est question, on le voit, de dispositifs, d’utiliser ce dont on a besoin pour le mettre au service d’une histoire. Au théâtre, très vite, elle a des chocs tels qu’ils lui donnent envie de s’y mettre. C’est en assistant à l’un des spectacles de Forced Entertainment avec Jean-Benoît Ugeux que le déclic a lieu. Ils sont en 2002 ; sur scène, on traite de l’action de la représentation : qu’est-ce que jouer au théâtre ? C’est quoi le public ? Et c’est : « à mourir de rire, très bien joué et super malin ». En 2003, elle monte avec Jean-Benoît Ugeux la compagnie « Résidence Catherine ». Ils créent ensemble « Zaï Zaï Zaï Zaï » et « Hansel et Gretel », sur base d’improvisations puis de textes de plus en plus écrits, en élaborant un jeu de télévisions-interlocutrices, qui parlent et qui leur répondent.

En 2008, elle se lance seule et donne naissance à la compagnie Das Fräulein (Kompanie). Elle crée la Trilogie des parenthèses : (Self) ServiceHABIT(U)ATION et After the walls (Utopia), dans laquelle son écriture prend toute son amplitude. Elle y isole la fracture, cet événement traumatique qui fait que la vie bascule. Elle en raconte toutes les nuances dans les trajectoires des possibles. Ce phénomène de rupture, elle l’extrait, le confine, l’ « ouï »-clos. Elle en fait résonner les abîmes, dessine et montre les cartographies des temps à venir – et ça sourd et ça claque en même temps. L’esprit se voit des deux côtés du carrefour de ses « soi », en même temps et de plus en plus vite, et on n’est plus très sûr de ce qu’on a toujours cru (d’ailleurs la nature elle-même pousse à l’intérieur de la maison dans HABIT(U)ATION). On est plusieurs. On se perfusionne à l’imaginaire. On est animé de contradictions. « Je ne sais pas du tout à quoi sert le théâtre. C’est la raison pour laquelle j’en fais. Mais il faut que quand tu sortes de la salle, tu aies l’impression d’avoir pensé – pas réfléchi mais pensé ».

Quand elle écrit ses spectacles, tout se met en place dans un même élan. Elle pose les mots avec les décors et avec les mouvements du jeu. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles on reconnaît sa voix. C’est aussi parce qu’elle s’inscrit dans la continuité d’une pratique de collaborations. Depuis ses débuts, Anne-Cécile Vandalem travaille avec les mêmes collaborateurs et grandit avec eux, pour la musique, pour les costumes, les lumières… Les scénographes, eux, varient en fonction des projets. Elle choisit ses acteurs via un code de jeu, consciente qu’il y a un univers dans lequel il faut rentrer. Ses projets, elle les mûrit pendant un an et réunit l’équipe artistique tous les mois pour construire le même objet ensemble. Quand lui vient un thème, elle se documente, questionne, rassemble et laisse décanter la matière. Alors se présente une histoire qu’elle écrit vraiment très près du plateau – (Self) Service a été écrit trois semaines avant les répétitions.

À contrejour, elle dit qu’au-delà des menaces de Damoclès, au-delà de l’urgence dont nous sommes nombreux à être les addicts, c’est le glas de la mise à l’écrit sonnant la fin de la recherche, intense, qui lui fait retarder l’écriture. Dont elle raffole, pourtant. Aujourd’hui, pour la préparation de son prochain spectacle, Tristesses, elle s’organise des périodes suspendues, hors de Bruxelles, en résidence d’écriture, et par étapes.

 

Artiste totale, Anne-Cécile Vandalem a l’énergie un peu surnaturelle (ou alors c’est le contrejour). Ses visions aux esthétiques tranchées, qui embrassent l’extérieur et l’intérieur, qui font sonner le blanc dans le noir comme dans Michel Dupont, qui donnent, organiques, avec tous les moyens nécessaires et uniquement ceux-là (pas d’adoubement à une technique chez Anne-Cécile Vandalem : vidéo, son, décor… ne sont utilisés qu’en fonction des besoins de l’histoire à raconter), des entrées vers le soi et vers le monde, ont déjà été saluées sur les scènes d’ici et d’ailleurs. Elle porte sur le plateau, avec ses dispositifs, quelque chose d’universel : ses inquiétudes face à elle-même, fictionnalisées et transcendées, puis face au monde, plus politiques, comme dans After the walls. Questionnant aussi sa pratique, elle s’ancre dans l’aujourd’hui et la cité avec son projet Que puis-je faire pour vous ?, hors les murs des théâtres, qui interroge le rapport des citoyens avec les artistes en proposant aux premiers de passer commande aux suivants. Ou encore, en pensant sa condition d’artiste femme : Das Fräulein, s’il vous plaît (et même s’il ne vous plaît pas), c’est celle qui n’est pas Anne-Cécile Vandalem. Dans ce monde du spectacle vivant majoritairement masculin et paternaliste, où elle travaille seule, « Das Fräulein », c’est celle qui n’induit rien. Qui ne veut pas faire le choix entre jouer la petite fille, la pute, ou l’hystérique pour obtenir ce qu’elle veut. Et qu’on respecte la façon dont elle veut l’obtenir. En plein jour, vous voyez.

 

 

 

Repères

2008 fondation de Das Fräulein (Kompanie)

2008 (Self) Service

2010 Habit(u)ation

2013 Michel Dupont

2013 After the walls (utopia)

 

Spectacles présentés à Grand Angle 2015

Tristesses

Still too sad to tell you

Que puis-je faire pour vous ?

 

http://www.dasfrauleinkompanie.com

photo © Alice Piemme _ AML

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