Dominique Seutin : "Il faut regarder des films tout le temps"

Publié le  12.02.2021

Qu'il s'organise en présentiel à Flagey ou en ligne via une plateforme, la programmation du Festival Anima constitue le fer de lance de l'événement. Derrière la sélection des courts et longs métrages se cachent des programmateurs et programmatrices qui, chaque année, concoctent un savoureux mélange de films d'animation pour les enfants, étudiants, adultes ou professionnels.

En quoi consiste concrètement ce métier ? À l'heure du lancement de la 40e édition du Festival international du film d’animation de Bruxelles qui se déroule du 12 au 21 février 2021, Bela a tendu son micro à Dominique Seutin, la co-directrice du festival, afin qu'elle nous livre quelques secrets sur son quotidien professionnel. 

photo d'une femme aux cheveux longs et les bras croisés
© Dominique Seutin par Isabelle Mertens

Qui êtes-vous ?

Je suis Dominique Seutin et suis la nouvelle directrice du Festival Anima. Je suis employée par le festival depuis une vingtaine d’années déjà. Quand j’ai commencé, c’était un de mes tout premiers jobs, mais à l’époque j’avais un CDD et je le cumulais avec d’autres contrats dans d’autres festivals que j’organisais en partie. Par exemple, pour le Festival international du film francophone à Namur, je faisais des interviews de réalisateurs pour la petite gazette du festival. J’ai travaillé aussi pour un festival de films documentaires en collaboration avec le Fonds Henri Storck.

Comment êtes-vous devenue programmatrice ?

Mes études ont beaucoup joué. J’ai suivi une formation universitaire en cinéma et écriture de scénario à l’ULB. J’étais à l’époque déjà passionnée par le cinéma d’animation, c’était vraiment ce que je voulais faire, j’ai donc regardé énormément de films pendant toutes mes études, j’ai commencé à bosser au Festival Anima parce que je faisais un mémoire sur le cinéma d’animation en Belgique. L’équipe savait que j’étais très intéressée par le sujet, l’ULB m’avait même proposé de faire un doctorat sur la question. Finalement, j’en avais assez d’être étudiante, j’ai préféré commencer à travailler.

Qu’est-ce qui vous a aidée en particulier dans vos études pour devenir programmatrice ?

C’est un doux mélange. Je viens d’une famille de scientifiques. Quand j’ai commencé mes études (par l’Histoire de l’art), j’ai vraiment découvert ce qu’était l’art, je n’y connaissais rien avant de commencer, je ne faisais pas la différence entre Brueghel et van Eyck, je n’avais aucune culture. Découvrir les classiques du cinéma était hyper excitant, je trouvais ça passionnant. Je pense que c’est vraiment cet intérêt démesuré qui a aiguisé mon œil à ce point et qui a montré à mon entourage que j’adorais sérieusement ce domaine

Pourquoi la programmation ? Est-ce que votre intérêt pour le cinéma n’aurait pas pu s’épanouir dans l’enseignement ou le journalisme ?

L’enseignement ne me donnait pas trop envie. Pour le journalisme, c’est un métier où on est toujours un peu en dehors, on interroge ceux qui le font, mais on ne le fait pas soi-même. Quand on programme, on est au cœur de l’organisation d’événements. D’ailleurs, je ne suis pas devenue tout de suite programmatrice pour le Festival Anima. Au début, on m’a engagée pour gérer toutes les accréditations et les tickets gratuits.

Avez-vous suivi une formation complémentaire ?

Non, j’ai plutôt appris sur le tas, je donnais mon avis à l’équipe de programmation sur ce qu’ils avaient choisi comme films car je regardais quasiment tout. Petit à petit, on m’a demandé mon point de vue sur la « Nuit Animée », etc. Et puis, j’ai rejoint l’équipe de sélectionneurs, ça s’est fait vraiment très progressivement. Maintenant, je fais la même chose avec les membres de mon équipe, je regarde qui a envie de donner son avis, qui s’intéresse, qui écrit des commentaires pertinents sur les films. Tant pour le choix des films que pour la négociation des contrats et les questions juridiques de droits, on affine son expertise sur le terrain. À partir du moment où on a les coordonnées des ayants droit d’un film, on leur écrit en leur demandant s’ils sont d’accord qu’on montre leur création au festival et combien cela coûte. Ce sont des tableaux Excel en gros, ce n’est pas très compliqué.

Quelle est la qualité primordiale à avoir pour être programmatrice ? Et le défaut à éviter ?

Je pense qu’il faut avoir une super bonne mémoire visuelle parce que, par exemple, quand on nous demande d’élaborer un programme thématique (sur un pays ou n’importe quoi), il faut avoir la capacité de se remémorer les films et dire celui-là était comme ça, il durait plus ou moins autant de temps, etc. Le défaut qui pourrait être handicapant serait sans doute de rechercher l’exhaustivité, de vouloir choisir uniquement les « meilleurs » films parce qu’il y a toujours une part de subjectivité, il y a toujours des films que l’on aime parce qu’on est qui on est et parce qu’il y a des sujets qui nous touchent plus que d’autres. Je pense qu’il faut accepter de passer à côté d’un super bon film et assumer que c’est comme ça.

En quoi consiste le métier de programmatrice ?

Il faut regarder des films tout le temps. Pour installer cette discipline de visionnage continu tout au long de l’année, il y a plusieurs canaux différents, on a de grandes échéances. Il y a d’abord tous les films que les réalisateurs, producteurs et distributeurs nous envoient pour le festival. Comment procède-t-on ? Au mois de juin, on lance un grand appel à films durant lequel on enregistre en moyenne 1500-2000 films dans notre base de données. Au mois d’octobre, on doit les avoir tous regardés pour organiser les réunions de sélection et ensuite mettre au point toute notre programmation. D’autre part, on suit chaque année quelques grands festivals internationaux comme celui d’Annecy et de Stuttgart. Je prospecte aussi sur Facebook en regardant les bandes-annonces de réalisateurs que je suis et en étant active dans des groupes d’animateurs ou des groupes de fans de festivals. Je m’informe un peu partout, je vais sur les sites des autres festivals. Il y a 1000 fois trop, ça ne s’arrête jamais, il y a vraiment énormément, surtout en animation. Désormais, c’est un domaine qui est très populaire, hyper tendance et productif.

Comment établissez-vous la programmation du Festival Anima ? Quels sont les critères de sélection ?

Il y a évidemment des critères de qualité. Il faut que le film tienne la route graphiquement et visuellement, que l’animation soit bien faite, que la bande-son, la musique, le rythme soient efficaces. Si c’est un film drôle, il faut qu’il soit vraiment drôle et qu’il ne tombe pas à plat. Malheureusement, la durée du film joue aussi parfois en sa défaveur, si c’est un film très long, on aura plus tendance à le laisser de côté en se disant que si on prend celui-là, cela veut dire que l’on ne peut pas prendre 4 autres films. Il y a des critères d’origine aussi parce que l’on reçoit des subventions de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de la Communauté flamande, de l’Europe et on a une mission de mettre en valeur cette cinématographie-là. Donc les films asiatiques et américains ont tout de suite un petit moins de chance d’être sélectionnés parce qu’ils ne seront pas nécessairement « éligibles » dans nos quotas.

dessin d'un lapin avec un homme dont les visages ont été échangés
© affiche du festival

À quoi ressemble le quotidien de l’équipe du Festival Anima ?

Tous les mois ne se ressemblent pas du tout chez Anima. Il y a des moments où on regarde 3 à 4 heures de film par jour. À la fin des sélections, on en regarde vraiment énormément. Et puis en période de rush avant le festival, on en regarde moins, car on travaille davantage sur l’organisation. En vitesse de croisière, on est un peu plus cool. Certains voyages s’imposent, notamment quand je suis invitée dans un jury ou quand je découvre un festival que je ne connais pas et que j’ai envie de le soutenir. Lors de ces voyages, on est attentifs aux films programmés et à tous les autres aspects du festival. On y va tous ensemble afin d’échanger nos impressions sur l’organisation des accréditations, sur l’espace pro, sur les cabines de vision, sur les catalogues. C’est très inspirant.

Êtes-vous sollicitée pour programmer d’autres festivals ?

Il arrive que d’autres festivals nous sollicitent. Ce sont souvent des festivals dont le core business n’est pas le film d’animation. Ils ne savent pas forcément comment procéder pour établir des sélections thématiques ou n’ont pas les contacts pour trouver les droits, ni les synopsis ou les visuels. Ils ont besoin de spécialistes qui peuvent leur fournir les 10 meilleurs films sur le thème de l’océan ou les 10 meilleurs films musicaux. Quand on nous sollicite de la sorte, c’est avant tout pour donner un coup de main gratuitement. On le fait pour rendre service et faire rayonner l’image du Festival Anima et du cinéma d’animation en général.

Comment se fait-on connaître comme programmatrice indépendante ?

Je ne crois pas que l’on puisse être programmatrice indépendante, car la sélection opérée pour un événement doit vraiment coller à l’image du festival que l’on représente. Il y a une ligne éditoriale à suivre, je ne pense pas être capable de programmer pour un autre festival car je connais celle d’Anima depuis 20 ans, je connais le public, je connais les attentes. D’ailleurs, je ne demanderais pas à une personne en dehors de l’équipe de devenir programmateur pour nous. Il faut vraiment que ce soient des gens qui connaissent l’événement de l’intérieur. C’est comme pour la musique, on ne va jamais demander aux programmateurs de Dour de faire la programmation des Ardentes, il faut vraiment faire partie du noyau dur de l’équipe pour pouvoir le faire. Les échanges d’expertises se font surtout entre festivals, plutôt qu’entre un festival et un programmateur indépendant.

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