Nous avons donné la parole à Aurélie Russanowska, chroniqueuse radio et stratège de marque, qui témoigne des changements de sa pratique professionnelle durant le confinement et la crise sanitaire.
Quel est le sens de tout ça ? Une question que je me pose chaque matin et à toute heure de la journée depuis le début de la crise. Chercher le sens, une raison, une explication logique pour faire une analyse qui permette d’entrevoir l’après. En tant que chroniqueuse radio dans l’émission "Tendances Première" (La 1ère-RTBF), j’analyse les tendances sociétales, je décrypte les comportements, j’émets des hypothèses et j’accompagne les marques pour qu’elles puissent évoluer intelligemment. Un questionnement constant sur le pourquoi et le comment. Un véritable plaisir de se documenter mais aussi de réfléchir, parfois trop, jusqu’à se faire mal, pour établir des connections et tirer de belles conclusions. Une mission qui avait du sens pour moi. Le sentiment d’éclairer les auditeurs sur le milieu de la publicité et d’inspirer des responsables marketing pour construire un monde meilleur. Je le faisais avec passion et patience.
La crise du Covid-19 a donné une autre dimension à ma chronique. Il y a d’abord eu ce grand retour de la notion de Service public. Pour moi et les autres chroniqueurs de l’émission "Tendances Première", cela signifiait tout d’abord être là, assurer sa chronique, ne pas laisser tomber, garder l’antenne. La RTBF aura besoin de contenus et les auditeurs aussi. Ce mail nous l’avons tous reçu au lendemain de l’annonce du confinement. Ensuite, la production de l’émission a très vite décidé de nous équiper d’une application pour améliorer la qualité de la ligne téléphonique. Car pour respecter l’auditeur, il était indispensable de respecter la voix du chroniqueur. Cette valorisation de la part de la RTBF a permis et permet encore de maintenir la motivation de trouver des sujets, d’écrire et de prendre l’antenne.
Néanmoins il a fallu que j’inspire autrement. Cela fait trois ans que je choisissais mes sujets au gré de mes envies, du calendrier et que j’éprouvais une certaine satisfaction à annoncer des petits et grands changements futurs de manière plus ou moins divertissante. La crise m’a forcée à être dans le moment présent. Un moment de panique : comment inspirer ? Et comment trouver l’inspiration ? Comment entrevoir l’après si le présent nous emprisonne ? Et puis une envie. Celle de parler de ce sens. Celui dont on manque cruellement mais qui est tellement nécessaire. Et un nouveau ton. Moins consensuel. Pourquoi rester tendre avec les marques, à quoi bon finalement ? J’ai gardé mon humour mais mes mots sont plus tranchants. Cela fait donc 9 semaines que mes chroniques parlent de ce que nous vivons et où j’exhorte les marques à ne pas observer le changement, ni à le subir mais à le construire. Mes chroniques se sont transformées en cours stratégiques pour marketeers tout en prenant soin de vulgariser mes propos pour que tous les auditeurs puissent me comprendre. Une certaine manière de me rendre utile.
Y a-t-il plus d’auditeurs ou mes chroniques sont-elles plus accrocheuses ? J’ai en tout cas de nombreux retours positifs via les réseaux sociaux. Malheureusement peu de marques se manifestent et cela ne présage rien de bon pour la suite. Je garde cependant l’espoir de pouvoir éclairer les auditeurs et leur donner envie de changer leurs habitudes de consommation. Car j’ai découvert au fil de ces dernières semaines que cette audience n’écoutait pas de manière passive, bien au contraire. Ils veulent des pistes de réflexion. Alors que je considérais ma chronique comme une extension de mon travail en agence, je me suis rendue compte que c’était l’inverse. La passion reste mais la patience envers les marques s’est évaporée. Le sentiment d’urgence m’a lui aussi envahi. Cette impatience, curieusement, me donne de l’énergie. Mon écriture est devenue plus engagée, plus citoyenne. Un ton qui me convient finalement mieux et que je compte bien garder. Et si ma voix pouvait motiver les gens, à défaut de motiver les marques ? Peut-être que, tout compte fait, on arrivera à créer ce monde meilleur… sans regretter celui d’hier.