Vous avez l’intime conviction d’avoir quelque chose d’unique à partager et que cela devrait prendre la forme d’une œuvre sonore. Ce n’est pas nécessairement à lire, à voir, à goûter ou à toucher. C’est avant tout à écouter. Alors, comment s’y prendre quand on veut se lancer dans une création sonore ?
La troisième édition du Brussels Podcast Festival (BPF) s'est tenue du 7 au 10 avril 2022 et elle a apporté de nombreux éléments de réponse à cette question. La journaliste et podcasteuse Lucie Robet les a recueillis pour Bela. Résultat : une liste non exhaustive de recommandations judicieuses pour bien débuter dans le podcast en Belgique.
Connaître les étapes
L’Atelier de création sonore et radiophonique (Acsr) de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) œuvre depuis 25 ans à accompagner les auteur·rices francophones belges – ou résidant en Belgique – dans toutes les étapes de création d'un podcast. Emma Pajević, chargée de communication et diffusion à l’Acsr, et Camille Valençon, chargée d’administration et de production exécutive, ont présenté à la Maison européenne des auteurs et autrices (MEDAA) une « boîte à outils » mise à disposition des créateur·rices sonores en herbe :
- formations à la rédaction d’un dossier de présentation d’un projet, à la prise de son ainsi qu’aux rudiments du montage et du mixage ;
- mise en relation, notamment via un annuaire en ligne, avec des collaborateur·rices sonores (pour le montage, le mixage, le design sonore, l’aide à l’écriture, etc.) et avec la structure de production la plus susceptible d’être sensible au projet ;
- aide à la recherche de soutiens financiers (auprès du Fonds d’aide à la création sonore (Facr) et du Fonds Gulliver, entre autres) ;
- prêts de matériel et studios d’enregistrement pour les projets bénéficiant du Facr de la FWB ;
- aide à la promotion et à la diffusion (également dans le cadre d’un projet soutenu par le Facr).
« Notre rôle premier est l’accompagnement des auteur·rices dans toutes les étapes du processus de conception d'un projet sonore : de l'écriture d’un dossier de demande de subside à la diffusion en radio, puis en podcast », résume Camille Valençon. « Nous organisons régulièrement des séances d’écoute publique en avant-première au Centre culturel Jacques Franck, à Saint-Gilles », ajoute Emma Pajević. « C’est une occasion de rencontrer et d’échanger avec des autrices et des auteurs. »
« En ce début d’année 2022, nous avons lancé Radiola.be, la nouvelle plateforme de podcasts de l’Acsr », rappelle Emma Pajević. « Elle rassemble environ 500 pièces de notre catalogue. C’est un bon point de départ pour découvrir le foisonnement de la création sonore belge. »
Et l’une des co-programmatrices du Brussels Podcast Festival, Camille Loiseau, de confirmer que Radiola est une « véritable mine d’or » pour les amoureux·ses du son.
Exposer son projet en gestation
Bien entendu, il est tout à fait possible de se lancer dans l’aventure du podcast en toute liberté, en s’auto-produisant. En revanche, il n’est pas particulièrement recommandé de se lancer seul·e si, une fois le contenu réalisé, l'objectif est d’aller rechercher des financements publics.
Si vous avez l’intention d’obtenir des subsides, avant de s’emparer des micros, mieux vaut d’abord bien réfléchir à votre projet (note d’intention avec angle d’approche, synopsis, durée et découpage prévus, trame narrative, traitement sonore envisagé) et le soumettre au point de vue de personnes d’expérience (producteur·rices et/ou potentiels diffuseurs radios/plateformes web).
Suite au succès des rencontres professionnelles en ligne de l’édition 2021 du Brussels Podcast Festival, l’équipe coordinatrice a décidé de mettre en relation, de visu cette fois, des auteur·rices avec des producteur·rices de podcasts francophones lors de séances de "pitch". Sur la base de dossiers envoyés en amont, les organisatrices ont initié des rencontres d’une dizaine de minutes avec trois producteur·rices sélectionné·es en fonction de leur appétence pour l’angle proposé, l’intention de l’auteur·rice mais aussi le type de création envisagée (documentaire, fiction, enquête, "hörspiel"…) et son format (série ou pièce unique).
Morgan Liesenhoff, l’une des co-fondatrices du festival, explique que les entrevues en tête à tête ont été privilégiées, plutôt que des séances collectives, car « nous voulions que les introverti·es se sentent à l’aise ».
Céline Duvivier fait partie des personnes qui se sont prêtées à l’exercice du pitch durant l'édition 2022 du festival. Elle a un projet de série audio pour enfants et a déjà de l’expérience en tant que monteuse et productrice dans l’audiovisuel mais pas en tant qu’autrice-réalisatrice sonore. Partagée entre envie de liberté créative et besoin d’accompagnement, elle voulait d’abord évaluer les différentes approches possibles, notamment en matière de financements, et écouter les divers retours de producteur·rices avant d’aller plus loin.
Mélanie Cao s’y est prise différemment de Céline Duvivier. Au début de la pandémie de Covid-19, elle a ressenti l’urgence d’enregistrer la parole de personnes asio-descendantes, cibles de racisme anti-asiatique. « Pas le temps d’attendre des appels à projets et de déposer un dossier de demande de fonds avant de tendre le micro autour de moi ! » Elle trouve dommage que des aides comme le Facr ne soient accordées qu’aux projets en balbutiement. Pour l’heure, elle poursuit la réalisation de son podcast et en fait écouter des extraits lors de conférences. La mise en ligne viendra plus tard. Au point où elle en est, est-ce déjà trop tard pour demander un subside ? Pour le savoir, le mieux serait qu’elle s’adresse directement à des producteur·rices.
Écouter les conseils de "pro"
Une bonne dizaine de producteur·rices belges, suisses et français·es ont répondu positivement à l’invitation du Brussels Podcast Festival. On a donc pu entendre de nombreux conseils et informations dans les lieux où se déroulait l’événement, notamment à l’Atelier 210 et à la MEDAA :
« L’écriture sonore est une écriture à part avec laquelle il est bon de se familiariser », souligne Carmelo Iannuzzo, directeur de l’Acsr. « Le choix de tel micro plutôt qu’un autre n’a rien d’anodin. C’est un geste d’écriture », précise Bastien Hidalgo Ruiz, responsable de la gestion technique de l’Acsr.
Pour Gérald Wang, du Labo de la RTS (Suisse) : « Le B.A.BA est de forger son écoute. Je suggère de se plonger dans le milieu des radios associatives. C’est d’ailleurs ici, en Belgique, que j’ai commencé mon apprentissage. »
Silvain Gire, d’Arte Radio (France), estime également que « l’important, quand on débute dans le podcast, est d’éveiller son écoute. Ensuite, il faut travailler ses prises de voix. Nous proposons, dans la rubrique "Ingénieux du Son"des audioblogs d’Arte Radio, de nombreux conseils pratiques, astuces et témoignages. »
En Belgique, plusieurs structures proposent des formations au podcast et à la création sonore. Elles sont répertoriées ici sur le site de l’Acsr. L’une d’entre elles, le GSARA, propose aussi une résidence. Cette année, elle sera accordée à un binôme entre un·e artiste sonore et un·e artiste du monde visuel privilégiant l’approche artisanale pour réaliser ensemble une œuvre de 10 à 15 minutes.
D’après Joan Roels, journaliste et fondateur de We Tell Stories (Belgique), « l’une des premières questions à se poser en tant qu’auteur·rice est : préférez-vous avancer seul·e ou accompagné·e ? En Belgique, il n’y a que deux studios de production de podcasts, à ma connaissance : celui de LVDT et le nôtre. Notre studio à Bruxelles est aussi une structure d’accompagnement et d’aide à la recherche de subsides pour les personnes qui débutent. »
Selon Caroline Prévinaire, fondatrice du studio de podcasts lvdt.studio (La voix dans ta tête) à Liège, « il faut bien vérifier que votre idée de podcast n’a pas déjà été mise en œuvre par quelqu’un d’autre. Nul besoin de rajouter du "bruit" à tout ce qui existe déjà ! L’autre point important est de bien réfléchir en amont à qui l’on s’adresse, de penser à la communauté que l’on va créer à travers son podcast. »
Du point de vue de la forme artistique, Claire Gatineau, co-fondatrice avec Yves Robic de Farrago Production et de la revue sonore Le grain des choses à Watermael-Boitsfort, est très attentive à la voix : « Cela est sans doute lié à mon expérience dans le théâtre. » Elle conseille de s’interroger sur la manière d’approcher l’auditeur·rice dans un podcast : « La voix narrative, va-t-elle chercher à s’imposer ou plutôt inviter à l’écoute ? » Et Yves Robic d’ajouter : « Parfois, les mots ne savent pas tout exprimer. Là, les sons, l’acoustique d’un lieu sont des alliés précieux. Au-delà des voix, le podcast peut être une orchestration du sonore. »
Côté diffusion, Camille Dupon-Lahitte, co-productrice du Labo de la RTS, clarifie : « Même si l’équipe produit en priorité des podcasts liés au territoire et à la culture suisse, nous avons également un rôle de curation et diffusons des œuvres francophones… qui rapportent des droits à leurs auteur·rices. »
Ne pas négliger la question des droits d’auteur·rice
Sur leurs sites web, la Scam (gestion des droits pour les podcasts documentaires) et la SACD (pour les podcasts fiction) proposent un récapitulatif bien utile pour les personnes qui débutent dans la création sonore. Elles veulent notamment éviter d’éventuels écueils à celles et ceux qui envisagent d’utiliser un ou des extraits d’œuvres existantes (texte, musique, etc.). Elles offrent leurs conseils juridiques tels que des modèles de contrats possibles avec un ou des producteur·rices et exploitant·es ou encore des modèles de convention de collaboration pour organiser le travail entre plusieurs co-auteur·rices. Elles expliquent aussi comment protéger le contenu de son œuvre audio, avant toute diffusion, en effectuant un dépôt. Enfin, elles indiquent comment remplir un bulletin de déclaration des diffusions radios et web pour pouvoir percevoir des droits d’auteur·rice.
« Notez toutefois que la Scam et la SACD ne perçoivent pas de droits lors de diffusions en salles ou dans des festivals », prévient Gabriela Marchese, chargée de relation aux auteur·rices à la Scam-SACD. « Les accords doivent se faire de gré à gré. »
Pour conclure sur une bonne nouvelle pour les auteur·rices de podcasts, le directeur juridique de la Scam-SACD belge, Tanguy Roosen, rappelle que « suite à une directive européenne, le droit belge va être adapté dans les prochaines semaines pour obliger les plateformes de réseaux sociaux à payer des droits d’auteur·rice. »