F. (s) : un collectif féminin, singulier, pluriel
Le collectif F.(s) est un groupe de femmes issues du secteur artistique et culturel. C’est un mouvement de réflexions et d’actions féministes qui œuvre pour un monde culturel débarrassé des pratiques patriarcales et coloniales. C’est un lieu ressource, d’inspiration, d’échange, de rencontres, de mutualisation et de partage des savoirs où les femmes de la culture travaillent à identifier et reconnaître leurs droits. C’est un espace non-mixte pour s’informer, s’instruire, se questionner et trouver des réponses. C’est une plateforme horizontale d’échanges d’idées et d’expériences, un lieu de sororité, de solidarité, de pluralité des féminismes.
Le collectif F.(s) est né d’un rassemblement spontané, le 4 mai 2018 à Bruxelles, et souffle sa quatrième bougie en 2022. Une belle occasion de revenir sur le chemin parcouru avec Émilienne Tempels qui en raconte, depuis l’intérieur, la courte mais déjà riche histoire.
L’étincelle
Tout a commencé avec la nomination d’un homme pour succéder à un directeur viré pour des faits de harcèlement. Il paraissait logique qu’une femme soit choisie à la tête de ce théâtre. Et pourtant, un homme est encore choisi. Encore. Cela suscite une colère sans précédent. Trop is te veel. Au delà des questions de direction de lieux, c’est un ras-le-bol de toutes les inégalités de genre en arts de la scène, le harcèlement, la culture patriarcale intégrée à tous les étages. On est quelques mois après la vague #MeToo. Tout est explosifLire le premier communiqué de presse du collectif dans La Libre : https://www.lalibre.be/culture/scenes/2018/05/05/les-femmes-de-theatre-se-mobilisent-80-des-moyens-du-secteur-alloues-a-des-hommes-SNRJ5SDEGNG65JLEHL55I4K4GE/.
C’est comme ça que le 3 juin 2018, une marée de femmes envahit le Théâtre NationalLire l'article dans Le Soir : https://www.lesoir.be/160655/article/2018-06-04/fs-pourfend-le-sexisme-dans-la-culture-belge, brandissant des camemberts dénonçant les inégalités dans le secteur des arts de la scène, alors que les instances d’avis présentent leur bilan.
Comme une traînée de poudre, des milliers de femmes rejoignent le groupe Facebook. Une mailing-list est mise en place, qui constituera le moyen de communication du « noyau dur » du groupe, qui compte plusieurs centaines de femmes.
Une ruche
Des groupes de travail ont émergé les uns après les autres. Certaines planchant sur les harcèlements dans les écoles, créant un groupe d’écoute ; d’autres interpellant la ministre sur les questions de quotas ; d’autres épluchant les programmes pour compter ; et d’autres encore, préparant des actions en mode ninja.
C’est comme ça qu’une bannière « Boy’s club » est déployée lors de la soirée d’ouverture du Poche en 2019Lire l'article dans Le Soir : https://www.lesoir.be/248734/article/2019-09-20/le-theatre-belge-ce-boys-club-tres-prive pour dénoncer la programmation sexiste du théâtre, qui est loin d’être la seuleLire l'article sur BX1 : https://bx1.be/categories/news/le-theatre-ce-monde-dhommes-une-enquete-sannonce-pour-lete-2020/...
Au même moment, F.(s) organise le colloqueLire le programme sur le site de La Bellone : https://www.bellone.be/f/event.asp?event=6263 « Pratiques de survie en milieu culturel, le féminisme est un muscle, entraîne-toi ».
Pendant ce temps, on écrit notre ManifesteÀ découvrir ici : https://f-s.collectifs.net/, au cours d’un processus collectif qui a duré une année. Le texte reste sujet à évolution. Il tente de définir les objectifs du groupe, de tracer la ligne (ou la courbe ?) définissant le collectif.
Les chiffres
Dénoncer les inégalités, preuves à l’appui, c’est une nécessité dans la société comptable, où celui ou celle qui veut dénoncer quelque chose doit le prouver avec des chiffres, sous peine d’encourir le risque de se voir taxer de mythomane. Au départ F.(s) a entrepris de compter elle-même les disparités de genre des programmations. Et bien que le simple calcul mental montre déjà des résultats d’inégalité flagrante, il fallait anticiper les critiques avant qu’elles ne pleuvent, avant que quiconque n’ait les moyens d’arguer que les chiffres ne sont pas rigoureux, les sources non fiables, etc.
Elsa Poisot a lancé l’étudeÀ lire ici : https://acte3-4.deuxiemescene.be/ « la Deuxième Scène » avec sa compagnie, en collaboration avec l’ULiège, La chaufferie acte1 (LCA1) et l’UCLouvain. Fin février 2022, ces chiffres ont été présentés au Festival de LiègePrendre connaissance du programme ici : https://www.festivaldeliege.be/journeedetude, avec le festival Voix de Femmes. C’était une journée très instructive, d’utilité publique. Malheureusement, on déplore à nouveau la très faible présence des hommes, qui se comptaient sur les doigts d’une main, sur plus d’une centaine de participant.e.s, comme si ces inégalités ne concernaient pas également les hommes.
Or, ce que l’étude montre, c’est que la situation inégalitaire est, et reste, (très) inégalitaire. Grosso modo plus de 65 % de femmes sortent des écoles, et on est dans une proportion inversée d’accès aux rémunérations/budgets/au monde du travail (même après les récentes nominations aux directions théâtrales). Les femmes disparaissent, littéralement. Massivement.
« Qui n’est pas représenté n’existe pas »
Au vu de l’inégalité de chances face au travail, il en découle une inégalité de chances face au dit « statut d’artiste ». F.(s) a forcé les portes du gouvernement pour faire entendre cette réalitéVoir la vidéo du discours à la Chambre sur Vimeo : https://vimeo.com/502967529 et s’est retrouvée dans les négociations du futur statut. Un groupe de travail de plus d’une trentaine de praticiennes de toutes disciplines a travaillé pendant plus d’un an d’arrachepied, pour décoder toutes les subtilités du projet de réformeLire l'analyse ici : https://f-s.collectifs.net/wp-content/uploads/2021/06/Le-projet-de-reforme-du-statut-pour-les-nul-le-s.pdf, qui reste un projet qui risque de voir disparaître les plus précaires, et donc un bon nombre de femmesLire l'article sur le statut d'artiste dans La Libre : https://www.lalibre.be/culture/politique/2021/06/26/breve-OOTDD7JRXJDDBAZLH27XKUNZWA/. Affaire à suivre, la balle est actuellement dans les mains du gouvernement.
« On ne détruit pas la maison du maître avec les outils du maîtreAudre Lorde »
Aujourd’hui, si F.(s) a pu remporter quelques batailles, nous ne pouvons pas encore sabrer la victoire. La culture patriarcale est bien en place, les clichés dans le monde des arts vont toujours bon train. Mais les perspectives sont jouissives. À l’image de l’énergie du groupe de travail qui a oeuvré sur des propositions de candidatureLire la candidature ici : https://f-s.collectifs.net/wp-content/uploads/2021/05/Dossier-de-candidature-F_s-au-TN.pdf collective au Varia et ensuite au Théâtre National.
Beaucoup de travail reste à faire en matière d’intersectionnalité, pour décoloniser le monde mais aussi F.(s) ; débinariser les rapports humains, faire face à l’âgisme...
Si nous voulons qu’il y ait un avenir viable pour les êtres sur cette planète, c’est rien de moins qu’une révolution qui est nécessaire. Notre ambition ne peut pas être en deçà, c’est aujourd’hui une simple question de survie. Le changement est entre nos mains, maintenant.
Gageons que la petite histoireLire une interview de F.(s) sur PointCulture : https://f-s.collectifs.net/wp-content/uploads/2021/02/Screenshot_20210204-194328_Brave.jpg de F.(s) aura modifié la face de la grande, dans l'énergie joyeuse de la transformation !