Nous avons donné la parole à Caroline Taillet, comédienne, autrice et metteuse en scène, qui range son bureau et ses idées en quête de sens durant ce confinement.
L’une des missions que je me suis fixées pour ce confinement – puisqu’il faut rester productif ! – est le rangement de mon bureau. Cela peut paraître une mince affaire, mais il s’y trouve de nombreux trésors que je ne me suis jamais résolue à trier. Mes cahiers d’école maternelle cohabitent joyeusement avec un ticket pour le Diamond Wink Tour d’Alanis Morissette, la copie de la copie d’environ 1548 contrats et C4, la boîte du CD Megamix (sans le CD dedans), ou la trace de chaque mission passée en tant que comédienne-auteure-metteuse en scène-réalisatrice-prof de langues-scénariste-animatrice radio. L’ensemble est parsemé de notes sur à peu près tout, que je relis scrupuleusement afin de ne pas louper une idée géniale qui risquerait de tomber dans l'oubli éternel d’un sac jaune papiers-cartons. Je fantasme secrètement qu’un jour cela sera si bien trié qu’il suffira de m’installer dans cette pièce pour que s’alignent toutes mes pensées et que l’inspiration coule de mes doigts sans effort. Sur un post-it retrouvé hier, je lis : « être auteure ❤ ? » À cette époque, j’imaginais qu’« être auteure » – accolé à ce petit cœur romantique – signifiait être recluse durant des semaines, écrivant (à la main) de longues phrases pertinentes, jetant un œil par la fenêtre de temps à autre pour trouver dans un nuage la formulation manquante... et bien sûr sans jamais être dérangée. Cela ressemble furieusement à ce nous vivons pour l’instant. En d’autres termes, n’est-ce pas le moment idéal à la création ?
Apparemment, pas pour moi. Écrire, créer, dans mon expérience, ce sont des allers-retours. Des moments de solitude, nécessaires, mais aussi beaucoup de confrontation. Brainstormer, débattre, tester une ébauche de scène, répéter avec un acteur et entendre son ressenti, faire s’entrechoquer des idées. Et avant tout cela : puiser dans la vraie vie. M’inspirer de la démarche saccadée d’une dame, être révoltée par les propos d’un inconnu tard dans un bar, trouver l’impulsion dans un spectacle qui m’a soudain remis le cerveau en marche, être émue par une conversation épiée dans le bus, me faire insulter et y trouver la hargne de créer… Alors comment faire pour écrire quand on est privé de ces allers-retours ? Quand on stagne dans la même journée éternelle ?
Je me résous à ce que pendant un temps, ces allers-retours seront plus ténus, plus difformes, plus proches. Mes idées aussi. Elles attendront d’exploser quand enfin elles retrouveront leur sens en rencontrant l’autre. Nous sommes « en veille ». Alors pendant que je continue à ranger mon bureau, je pense à celles et ceux qui n’ont pas ce luxe. Qui perdent un proche, leur travail, leur vie même. Qui ont peur, qui prennent des risques, qu’on veut utiliser comme cobayes, qu’on ne soignera pas, qui en sortiront en lambeaux. Peut-être est-ce à eux qu’il faudra donner la parole, eux qui survivent pendant qu’on vivote ? À défaut d’en avoir vécues, je rêve que nous puissions être passeurs de leurs histoires.